Suivre la cicatrisation d’une blessure cutanée sans l’avoir sous les yeux. Ou, mieux encore, prédire son évolution dans le temps, voire même accélérer cette cicatrisation. Tels sont les objectifs des travaux dirigés par le Dr Carlo Iorio à l’ULB.
Le scientifique est à la tête du projet de recherche scientifique Rawints (RApid Skin Wound healing by INtegrated Tissue engineering and Sensing), financé par l’Otan et son programme « Science pour la paix et la sécurité » (SPS). Il s’agit d’un programme spécifique qui s’adresse tant aux Alliés qu’aux pays partenaires de l’Otan. Le programme est financé à partir du budget civil de l’organisation internationale. Les projets individuels sont financés conjointement par l’Otan, les instituts de recherche et les universités participantes.
Une succession de trois couches
« Avec Rawints, il s’agissait de mettre au point des pansements intelligents, accélérant la cicatrisation de la peau », explique Carlo Iorio. Après trois années de travail, et 600.000 euros de budget de recherche financés par l’Otan, l’équipe internationale qu’il a dirigée a pu faire la démonstration de diverses technologies dans ce cadre.
« Pour évaluer l’évolution d’une blessure ouverte, le personnel soignant dispose de divers indices: température, signaux chimiques, taux d’acidité (pH) de la plaie », détaille le chercheur du Microgravity Research Center (MRC), du service de Chimie-Physique de l’ULB. « En collaboration avec des collègues japonais, espagnols et italiens, le système que nous avons développé livre aussi ce genre d’informations, sans pour autant qu’un membre du personnel médical doivent enlever le pansement pour observer la plaie. »
Dans le cadre de ce projet, l’équipe du Pr Iorio a été responsable de la conception, de la fabrication et de l’assemblage de ces pansements connectés. Ceux-ci se composent de trois couches: une couche en collagène en contact avec la plaie; une couche intermédiaire qui transmet les signaux biophysiques provenant de la plaie aux capteurs, et une couche comprenant les capteurs de température, de pH, d’humidité.
À l’ULB, ont été développées les deux dernières couches de ce pansement qui ont été développées. Un capteur à cristaux liquides pour la détection de la température a été mis au point, ainsi qu’un logiciel d’apprentissage automatique pour la reconnaissance de la gravité de la plaie.
Fructueuse collaboration internationale
À l’Université de Pavie (Italie), Gabriella Cusella a été responsable du développement et des tests de la couche en contact avec la peau, la « couche de cicatrisation ». Celle-ci est composée de collagène ou d’hydrogels sur lesquels sont cultivées des cellules souches. Ces dernières ont le pouvoir de guérir une blessure plus rapidement qu’un pansement normal. De quoi réduire le temps nécessaire à la guérison.
À l’Institut de microélectronique de Barcelone (IMB, Espagne), Gemma Rius a testé des éléments de détection alternatifs basés sur la modification de la vitesse du son due aux changements d’humidité de la plaie. L’IMB a également aidé l’ULB à évaluer le rapport signal/bruit des mesures.
Enfin, Masaki Tanemura, de l’Institut de technologie de Nagoya (Japon), a travaillé sur les simulations numériques et les aspects théoriques du développement des capteurs.
Un dispositif qui intéresse les agences spatiales
À terme, grâce à un système d’intelligence associé, ce pansement connecté permettra également de prévoir l’évolution de l’état de la plaie.
C’est là un de ses intérêts majeurs. « Savoir si la situation va se dégrader ou non permet d’assurer de meilleurs soins ou de libérer du temps pour le personnel médical. Et ce, afin qu’il concentre son travail sur des patients nécessitant une plus grande attention », précise Carlo Iorio.
Ce projet connaît des prolongements à l’Agence spatiale européenne. Mais aussi dans le cadre du vaste programme européen dédié au graphène, le programme « Graphene Flagship » de la Commission européenne. Ces programmes « Flagship » soutiennent des recherches centrées sur des technologies futures et émergentes.
Dans le cadre du projet « WHISKIES – Wound Healing In Space: Key challenges towards Intelligent and Enabling Sensing platforms », des tests ont été réalisés lors de vols paraboliques. Ceci, afin de vérifier le comportement de ce type de pansement en microgravité. Il pourrait s’avérer utile pour des missions en orbite de longue durée, ou des voyages vers Mars, par exemple.
Vers des pansements qui « écoutent » le patient
Mi-novembre, un nouveau projet de recherche de trois ans, et qui est cette fois « à l’écoute » des patients, vient de recevoir le feu vert de l’Otan.
Doté d’un demi-million d’euros de budget, SP4Life (Smart patch for life support system) vise à coupler un microphone en graphène dans les pansements appliqués sur la poitrine de patients, ou de militaires en opération, voire d’astronautes en mission.
En écoutant leur respiration et en faisant, encore une fois, appel à l’intelligence artificielle pour décoder ces signaux en temps réel, il s’agit de détecter le plus tôt possible l’évolution de la maladie ou l’état de stress du patient. Et ce, afin de prévenir d’éventuelles erreurs ou accidents. « Quand la respiration change, cela peut avoir des effets sur l’oxygénation du cerveau, et donc sur les décisions à prendre », souligne le chercheur.
« Ce projet de 3 ans devrait démarrer en 2021, quand les problèmes de déplacements liés à la crise de la Covid-19 seront moins intenses qu’actuellement », conclut Carlo Iorio.