Une batterie au sodium qui stocke deux fois plus d’énergie que celles au lithium

2 décembre 2021
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 5 min

En ces temps de crises climatiques et énergétiques, voilà une innovation très enthousiasmante. L’équipe du Pr Bao-Lian Su de l’UNamur a accouché d’une batterie d’un genre nouveau. Face aux limitations des batteries à lithium classiques, les ions lithium ont été remplacés par des ions sodium. En parallèle, un matériau innovant a été développé pour stocker les ions sodium plus rapidement et en plus grandes quantités. Et ce n’est pas tout, un tout nouveau concept, dénommé à doubles ions, a vu le jour, permettant de doubler la quantité d’énergie stockée et d’augmenter la stabilité de la batterie.

Le lithium, un métal critique

Il y a quelques semaines, le lithium a fait son entrée dans la liste des matières premières critiques établie par la Commission européenne. Pas moins de 30 métaux sont en pénurie ou pourraient le devenir à court terme, mettant en péril les objectifs de l’Union européenne dans le cadre du « Green Deal ».

En effet, l’Europe vise la neutralité carbone pour 2050. Seul moyen d’atteindre ce but : sortir des énergies fossiles en utilisant massivement les énergies renouvelables. La production d’énergie solaire ou éolienne étant intermittente, il faut pouvoir la stocker dans des batteries.

Or, actuellement, la majorité des batteries sont des « lithium-ion ». Le lithium, pour ne parler que de ce métal, y est prépondérant et essentiel. La Commission estime que d’ici 2050, il en faudra 60 fois plus qu’aujourd’hui. Actuellement, le Chili fournit 78 % de la demande européenne. Mais l’appétit européen devant aller en s’amplifiant, la pénurie guette. Et les prix flambent.

Le sodium pour remplacer le lithium

Face à ce constat, le Pr Bao-Lian Su, directeur du laboratoire de chimie des matériaux inorganiques à l’Université de Namur, fait preuve d’ingéniosité afin de développer les batteries du futur dénuées de métaux critiques, stables et capables d’un nombre élevé de cycles de charge et décharge.

En collaboration avec le Pr Jie Shu de l’université chinoise de Ningbo, il a mis au point une batterie dite « à doubles ions », à base de TiSe2-Graphite. Celle-ci est la combinaison de 3 innovations importantes.

La première innovation voit le lithium (Li+) remplacé par le sodium (Na+), un composé chimique ionique présent en abondance dans l’eau de mer sous forme de sel (NaCl). Mais cette éviction est accompagnée de moult problèmes techniques.

Les batteries sont des systèmes qui stockent l’énergie chimique puis la libèrent sous forme d’énergie électrique lorsqu’ils sont connectés à un circuit. Elles peuvent être fabriquées à partir de nombreux matériaux. Dans une batterie à lithium, l’électrode positive, appelée cathode, est composée d’oxydes de métaux-lithiés tandis que son électrode négative, l’anode, est en graphite. Ces deux pôles baignent dans une solution, qui permet à la charge de circuler dans le système fermé, dénommée électrolyte. « Lors des charges et décharges de la batterie, les ions lithium voyagent entre les deux électrodes et s’y insèrent. Comme le lithium est un ion de petite taille, son insertion est très facile. Et la migration entre les deux électrodes est très aisée », explique le Pr Su.

Un matériau innovant pour l’une des électrodes

Le sodium , par contre, est bien plus dodu que le lithium. «Cette caractéristique rend sa migration et son insertion beaucoup plus difficiles. Trouver un constituant adéquat pour élaborer des électrodes efficaces fut un défi de taille. »

« Le matériau innovant que nous avons découvert, le diséléniure de titane (TiSe2), accueille le sodium rapidement et de manière efficace. Cela permet à un grand nombre d’ions sodium d’être stockés, et donc d’emmagasiner davantage d’énergie. De plus, comme la migration du sodium est rendue beaucoup plus rapide, la vitesse de charge de la batterie est aussi plus élevée », poursuit le Pr Su.

Illustration de la nouvelle batterie à doubles-ions, à base de TiSe2-graphite. A gauche, électrode en TiSe2 capable d’accueillir les ions sodium (Na+). A droite, électrode en graphite qui accueille les ions négatifs © R.Zheng et al.

Ions positifs et négatifs ont la bougeotte

A ces deux premières innovations se greffe une troisième, encore plus importante.

« Dans les batteries classiques à base de lithium, les ions lithium sont les seuls à migrer d’une électrode à l’autre. La capacité de stockage dépend totalement de cet unique élément chimique », explique le Pr Su.

« Inventer une nouvelle batterie s’imposait. Si elle est toujours composée de deux électrodes – une positive, la cathode (en diséléniure de titane), et une négative, l’anode (en graphite) -, elle stocke l’énergie suite à l’insertion de deux types d’ions dans ses électrodes. En effet, tandis que les ions positifs , les ions sodium, s’insèrent dans l’électrode en diséléniure de titane, des ions négatifs, notamment des ions hexafluorure de phosphore et des ions tétrachloroaluminate, présents dans l’électrolyte, s’insèrent dans l’électrode en graphite. Cette astuce permet de générer deux fois plus de capacité électrique que les batteries classiques. »

Et comme la capacité de stockage de cette nouvelle batterie est doublée par rapport à une batterie lithium-ion, son volume sera au moins réduit de moitié.

Par ailleurs, cette nouvelle batterie, basée sur un montage différent permettant le voyage de deux types d’ions, retarderait la survenue des problèmes de sécurité classiquement retrouvés dans les batteries (explosion, combustion).

Du labo vers l’industrie

Si cette innovation est très enthousiasmante, elle en est toujours au stade expérimental. « Notre modèle de laboratoire, soit une pile bouton, présente une excellente performance en termes de cycles charge/décharge. Il pourrait aller jusqu’à 500 cycles. »

« Même si nous ne sommes qu’en phase expérimentale, de nombreuses industries m’ont contacté suite à la publication de ce travail. Des collaborations sont envisagées pour fabriquer les premières batteries à doubles ions à base de sodium et de TiSe2 , pas encore de taille industrielle, mais des prototypes pour les tester dans différents dispositifs, notamment dans les voitures électriques. »

« Par ailleurs, il y a une demande très urgente en batteries stationnaires, celles à utiliser dans les maisons pour stocker l’énergie solaire par exemple. Notre batterie serait idéale », conclut le Pr Su.

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