Production radiochimique © IRE

L’Institut des radioéléments de Fleurus vise le zéro uranium

3 mai 2021
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 4 minutes

C’est une véritable révolution technologique qui se prépare à Fleurus. A l’Institut des radioéléments (IRE), on met le cap sur l’avenir avec le projet SMART (« Source of Medical RadioisoTopes »).

« Actuellement, les radio-isotopes que nous produisons pour des besoins médicaux le sont au départ de cibles d’uranium faiblement enrichi, qui sont irradiées dans des réacteurs de recherche, comme le réacteur de recherche belge BR2, installé au Centre d’études nucléaires de Mol », explique Erich Kollegger, le directeur général de l’IRE.

« Mais les réacteurs nucléaires fonctionnant à base d’uranium enrichi ne vont pas exister éternellement. La gestion de leurs déchets radioactifs pose aussi un problème. Et l’uranium est un élément sensible. Il peut être utilisé à des fins civiles mais aussi militaires. Nous mettons donc au point un tout nouveau système de production de ces isotopes médicaux en nous basant sur autre chose que l’uranium. C’est le cœur du projet Smart ».

Bombardement d’électrons plutôt que de neutrons

Les radio-isotopes produits à Fleurus alimentent 25 % du marché mondial. Pour assurer la continuité de leur production après la fermeture des réacteurs nucléaires, l’institution scientifique propose de remplacer les cibles d’uranium actuelles, qui sont soumises à un bombardement de neutrons venant du réacteur nucléaire, par des cibles de molybdene-100. Ces nouvelles cibles sont soumises à des flux d’électrons générés par un accélérateur de particules. Exit donc l’uranium dans la filière de production de l’IRE.

« Les avantages de passer à cette nouvelle technique de production sont évidents. Outre une sécurité d’approvisionnement durable et sans aucune dépendance vis-à-vis des réacteurs de recherche vieillissants, le processus génère peu de déchets radioactifs, et ceux-ci ont de période de demi-vie bien plus courte que l’uranium », précise Erich Kollegger.

Production de molybdène : filière actuelle et nouvelle filière © IRE

Le moly-99 source du technétium-99 médical

En utilisant en début de processus des cibles de molybdène-100 plutôt que de l’uranium, le site de Fleurus devrait produire du molybdène-99 (comme c’est le cas actuellement), mais de qualité supérieure. De quoi faire fonctionner les générateurs de technétium actuels des services de médecine nucléaire des hôpitaux. En réalité, le molybdène-99 livré par l’IRE aux quatre coins de la planète permet de produire à la demande, chez les utilisateurs finaux, le technétium (Tc) à la très courte durée de demi-vie dont ils ont besoin pour la médecine nucléaire.

Cet isotope injecté aux patients peut atteindre un organe cible rapidement et ainsi être visualisé par un système de détection. De quoi conduire à un diagnostic fiable. Le Tc est utilisé dans 80% des diagnostics en médecine nucléaire pour les scintigraphies qui explorent les affections des os, du cœur, des poumons, du rein, du foie, de la thyroïde, du cerveau, du système gastro-intestinal, etc.

Ces examens permettent de poser un diagnostic adéquat dans de nombreuses pathologies telles que le cancer, les infections et les inflammations, les troubles respiratoires, les maladies dégénératives du cerveau comme la maladie d’Alzheimer et les dysfonctionnements des glandes endocrines. Dans le cas du cancer, l’analyse de cette image de l’activité métabolique permet essentiellement de déterminer l’étendue de la maladie.

De multiples défis technologiques à résoudre

Remplacer des cibles d’uranium par des cibles de molybdène-100, et substituer des flux de neutrons d’un réacteur nucléaire par des électrons, ne se fait pas en un claquement de doigts.

« Cette technologie n’existe pas encore. Nous sommes ici en plein processus d’innovation », indique Veerle Van der Steen, directrice du projet Smart à l’IRE. « D’où les études en cours avec de multiples partenaires, dont les universités belges, pour valider la pertinence et la faisabilité des différentes étapes du processus envisagé ».

Et l’IRE veut donner le tempo. L’Institut envisage de construire sur son site de Fleurus une toute nouvelle usine ainsi que son accélérateur d’électrons. « Le but est de démarrer la production de moly-99 au départ de moly-100 avant la fin de l’année 2028 », précise le directeur.

Plan de relance

Le projet est ambitieux. Son budget également. On parle de 256 millions d’euros. Une vingtaine de millions devraient venir de l’Union européenne dans le cadre de son plan de relance. Thomas Dermine, le Secrétaire d’Etat (PS) en charge de la relance (et de la recherche scientifique) se frotte les mains.

« L’IRE est une de nos pépites technologiques depuis 50 ans », dit-il. « Se projeter ainsi vers l’avenir aura des conséquences sur la vie des citoyens, sur notre savoir-faire, sur l’emploi…. mais aussi dans la lutte contre le cancer notamment. C’est une filière d’avenir. »

« Si aujourd’hui nous nous désengageons de la production nucléaire d’électricité, ce n’est clairement pas le cas en ce qui concerne la médecine nucléaire:  un domaine d’excellence en Belgique ».

Les 20 millions du plan de relance qui arriveront à l’IRE financeront une partie de la R&D. Principalement en ce qui concerne le design du nouveau système et les techniques de refroidissement des cibles de moly-100 qui seront bombardées pendant des jours par des flux d’électrons. Une fournaise à 400 degrés qu’il vaut mieux parfaitement maîtriser pour assurer la production des précieux isotopes médicaux.

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