Les phages, un outil thérapeutique complémentaire aux antibiotiques

3 juin 2022
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 5 minutes

Série « Les phages, ces virus amis » (2/3)

Alors que l’antibiorésistance fait rage en Europe, où elle emporte 33.000 vies par an, la phagothérapie acquiert petit à petit ses lettres de noblesse. Si des virus bactériophages peuvent venir à bout de bactéries résistances à tous les médicaments, nombreux excellent lorsqu’ils sont administrés en complément de certains antibiotiques. Il ne s’agit donc pas de remplacer les attaques chimiques par des attaques biologiques, mais de les mener de front. Cette conclusion est le résultat de recherches menées à l’hôpital royal militaire de Neder-Over-Heembeek.

Une trousse à outils plus complète

« Au départ, de nombreuses demandes étaient confidentielles. Elles émanaient de patients ou de leur famille, beaucoup plus que des médecins, lesquels étaient réticents à utiliser la phagothérapie. Mais depuis 4 ans, cela a bien évolué : les médecins osent davantage sous les conseils de leurs patients, et aussi grâce au fait que la phagothérapie est de plus en plus présente dans les grands congrès d’infectiologie. Là, de nombreux cas ont été rapportés et ont prouvé la sécurité et l’intérêt de la phagothérapie comme une thérapie complémentaire », explique Dre Sarah Djebara, médecin interniste en charge de la coordination de la phagothérapie à l’hôpital militaire Reine Astrid.

Pour certaines pathologies, comme les infections osseuses, les antibiotiques sont très difficiles à appliquer. « En effet, même si le germe est potentiellement sensible aux antibiotiques, l’obtention d’une concentration efficace de ces molécules dans de tels tissus est toujours limitée. Avoir un outil complémentaire pour des pathologies difficiles et des pathogènes antibiorésistants, c’est la place que l’on voudrait donner aux phages. »

Phagorésistance

Si les bactéries pathogènes sont capables de développer des résistances face aux antibiotiques qui les agressent, il en est de même avec les phages. Pour limiter ce risque de phagorésistance, il est crucial de bien choisir le phage ou le cocktail de phages administré. Pour ce faire, un phagogramme est réalisé sur une goutte d’infection (dont la nature dépend de l’emplacement des bactéries pathogènes antibiorésistantes) du patient. Celui-ci révèle quels phages de la collection de l’hôpital sont capables de tuer la bactérie pathogène.

« Souvent, les phages sont administrés en combinaison avec des antibiotiques spécifiques et adéquats. Ces deux thérapies complémentaires, à condition qu’elles soient concordantes, amènent le risque de résistance au plus bas », explique Jean-Paul Pirnay, directeur du laboratoire de technologie moléculaire et cellulaire (Hôpital militaire Reine Astrid).

La stratégie est de multiplier les sites d’attaque sur les bactéries pathogènes, tant en multipliant les phages qu’en ajoutant un antibiotique, de sorte qu’elles ne parviennent pas à mettre rapidement sur pied une résistance et meurent.

Synergie avec les antibiotiques

Les phages ne vont pas remplacer les antibiotiques. Au contraire, ceux-ci sont des outils qui peuvent s’avérer très utiles à utiliser en complément des phages. L’équipe du Dr Pirnay cherche à comprendre les interactions entre phages et antibiotiques. Parfois, elles sont positives, parfois négatives.

« C’est très important de maîtriser cela. Car cette synergie nous permettra de diminuer tant la quantité que la durée des traitements antibiotiques. Et de limiter ou de retarder l’émergence d’une résistance aux phages », précise Dre Djebara.

« Prenons l’exemple de patients souffrant d’une infection respiratoire chronique, comme la bronchite chronique ou la mucoviscidose. Il est illusoire d’espérer que les phages permettent une décolonisation complète chez ces patients, mais ils permettront certainement d’allonger la période entre deux hospitalisations ou deux cures d’antibiotiques. »

« Il ne s’agit pas de faire tout et n’importe quoi avec les phages, comme ce fut le cas avec les antibiotiques. On doit être précautionneux et tirer parti des résultats déjà obtenus. »

Peu ou pas d’effets secondaires

Quid des effets secondaires ? Sur les 110 patients dont l’hôpital militaire a coordonné le traitement par phagothérapie, seuls 4 ou 5 patients ont fait écho d’effets secondaires, toujours mineurs, sans lien avéré avec les phages.

« Parfois, au début du traitement par phages, tout comme c’est le cas avec les antibiotiques, la lyse bactérienne peut être importante. Des patients peuvent alors avoir des frissons ou un peu de toux. De nombreuses études dans la littérature scientifique corroborent le fait qu’il y a excessivement peu d’effets secondaires avec la phagothérapie », explique Dre Djebara.

Et pour limiter ce risque au maximum, l’hôpital royal militaire n’utilise que des phages lytiques. C’est-à-dire ceux qui détournent la machine bactérienne, et l’utilisent pour produire des virions et faire exploser la bactérie. Une fois toutes les bactéries pathogènes tuées, les phages étant incapables de se reproduire par eux-mêmes, ils sont évacués par le corps du patient.

« Nous n’utilisons pas les phages tempérés, lesquels sont moins maîtrisables, car ils s’intègrent dans le génome de la bactérie. N’entrant pas tout de suite dans un cycle de lyse, ils ont la capacité de transporter des gènes de virulence ou parfois de résistance bactérienne. »

Un besoin d’aide et de reconnaissance des pouvoirs publics de la santé

Plus la collection compte de phages, plus il y a de chance d’y trouver le cocktail adéquat pour lutter efficacement contre une bactérie pathogène. Dès lors, trouver de nouveaux phages prend tout son sens.

L’équipe de recherche du Dr Jean-Paul Pirnay sélectionne spécifiquement des phages qui donnent le moins de résistance possible. « Il y a même moyen de les entraîner à cette fin. » Mais faire reconnaître un phage par un passeport génomique délivré par Sciensano coûte plusieurs milliers d’euros par candidat. Et cela plombe le budget du département phages de l’hôpital militaire.

A côté de cela, la production de phages est réalisée par les chercheurs eux-mêmes, en plus de leurs travaux de recherche.

«  Grâce à la Défense et aux efforts de l’Hôpital militaire, tous les patients sont traités gratuitement. Nous avons quelques phages reconnus par Sciensano, mais ils ne sont pas assez nombreux. Surtout quand on connaît leur spécificité et la capacité de développement de phagorésistance par les bactéries . Nous avons désormais besoin que cette recherche soit soutenue par les pouvoirs publics de la santé. Qu’un pôle d’excellence en phagothérapie soit créé et doté de moyens financiers permettant de continuer les recherches entamées à l’hôpital militaire », expose Dre Djebara.

« Par ailleurs, on sait ce que les lois du marché produisent sur les médicaments. Aujourd’hui, un traitement au céfidérocol, un nouvel antibiotique, coûte 6000 euros par traitement. C’est complètement fou. Il ne faudra pas qu’on arrive à la même chose avec les phages. Il faut que les pouvoirs publics de la santé se rendent compte de l’importance de la phagothérapie. Et se donnent les outils pour la suivre et la contrôler », conclut Dre Sarah Djebara.

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