Nanoparticules alimentaires : quels impacts sur le microbiote intestinal et le foie ?

3 novembre 2025
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 6 minutes

Chaque jour, nous ingérons pas moins de 140 mg de nanoparticules de silice. Aussi dénommées E551, elles sont utilisées comme anti-agglomérants dans le café en poudre, les soupes en poudre ou encore les épices. Ces particules invisibles influencent-elles l’activité de notre microbiote, ces milliards de bactéries qui vivent dans notre intestin ? Et par conséquent, modifient-elles les signaux qu’elles envoient au foie ? C’est l’une des questions auxquelles Laure-Alix Clerbaux, professeure de biochimie de la nutrition à l’UCLouvain, entend répondre dans le cadre des 5 années de financement qu’elle vient d’obtenir via un ERC starting grant.

Cette recherche ambitieuse s’inscrit dans la continuité de ses précédents travaux ayant montré, chez la souris, que le déséquilibre des acides biliaires – coproduits par le foie et les bactéries intestinales -, favorise la stéatose hépatique ou maladie du foie gras. Méconnue mais en forte progression, cette affection touche près de 30 % de la population mondiale. Si elle reste souvent non inflammatoire, elle peut évoluer vers la stéatose hépatite non alcoolique (Non Alcoholic SteatoHepatitis, ou NASH), une forme plus sévère, inflammatoire et fibrosante mais traitable, puis vers la cirrhose, quant à elle irréversible.

« Ce qui m’intéresse particulièrement, c’est de comprendre les mécanismes en amont qui transforment une stéatose, sans inflammation ni fibrose marquée, en une NASH. Dans ce contexte, je m’interroge sur le rôle potentiel des additifs alimentaires — et plus précisément de deux nanoparticules — dans l’aggravation de cette progression. »

Focus sur deux nanoparticules alimentaires

La première est la nanoparticule de silice ou E551. La seconde nanoparticule est celle d’argent. On la retrouve très rarement dans l’alimentation, car son usage est autorisé sur le marché européen uniquement comme colorant. Par exemple, ce sont les petites billes argentées que l’on met parfois sur les gâteaux. « Ce n’est donc pas une substance que l’on consomme quotidiennement. »

« En revanche, la nanoparticule d’argent est largement utilisée dans le domaine du packaging alimentaire, en raison de ses propriétés antibactériennes reconnues : elle empêche la prolifération des bactéries sur les emballages. Cela soulève alors une question : y a-t-il un transfert possible vers la nourriture elle-même ? », explique Laure-Alix Clerbaux.

« Il est essentiel de déterminer si, même à très faibles doses, ces nanoparticules d’argent peuvent influencer le microbiote. Car une fois dans le tube digestif, au-delà des bactéries pathogènes, elles pourraient aussi affecter les bactéries bénéfiques de l’intestin. C’est précisément dans ce sens que je souhaite explorer leur impact, comme preuve de concept. »

La chirurgie donne accès au sang portal

S’il est courant de regarder, par exemple, les effets de certains produits toxiques directement sur le foie, il en est tout autre concernant la communication entre le microbiote intestinal et le foie : c’est ici que s’inscrivent les travaux toxicologiques de la Pre Clerbaux. Cette interaction s’opère principalement par le sang circulant dans la veine porte, qui transporte vers le foie l’ensemble des composés produits par l’intestin, notamment les métabolites microbiens.

L’un des aspects les plus novateurs de ce projet ERC réside dans sa méthodologie : il repose exclusivement sur des échantillons de sang humain. « Cela représente évidemment de nombreux défis, puisque les compartiments biologiques les plus intéressants ne sont pas facilement accessibles. En effet, s’il est aisé de prélever du sang périphérique, par une prise de sang classique, la composition de ce qui y transite n’est aucunement le reflet de ce que l’on peut retrouver dans la veine porte, cette voie privilégiée entre l’intestin et le foie. Avoir accès à ce sang portal de patients n’est réalisable que par la chirurgie. Et donc n’est envisageable et possible que par la dimension interdisciplinaire du projet, un aspect particulièrement stimulant », explique-t-elle.

« Je travaille au sein d’un institut de recherche à la fois expérimentale et clinique, en étroite collaboration avec les cliniciens de Saint-Luc. Concrètement, nous allons coopérer avec des chirurgiens qui opèrent des patients pour diverses pathologies. Lors de certaines interventions, ils prélèveront du sang portal. »

Modélisation de la circulation des acides biliaires entre foie et intestin

« Des patients seront sélectionnés, issus de différentes cohortes présentant des profils distincts en acides biliaires selon la capacité de leur foie à capter les acides biliaires ou celle de leur intestin à les produire. L’idée est ensuite, sur base du sang portal et du sang périphérique prélevés chez ces patients malades, de développer un modèle mathématique qui intègre nos connaissances actuelles sur la circulation des acides biliaires entre le foie et l’intestin. Et ce, pour ensuite nous permettre de mieux comprendre et de prédire le profil d’acides biliaires dans ce compartiment portal uniquement accessible lors de chirurgies lourdes. »

À terme, ce modèle permettra de prédire non seulement les quantités d’acides biliaires dans le sang portal en fonction des nanoparticules ingérées, mais aussi leurs rôles potentiels dans l’inflammation hépatique.

La chercheuse prévoit également, lors de prélèvements de foie destinés à des transplantations, de collecter du sang portal et du sang périphérique chez des donneurs décédés. Cette démarche est toutefois encore en attente de validation par le comité d’éthique.

A noter que « nous ne disposons pas encore de données reliant la quantité de nanoparticules ingérées à celle retrouvée, par exemple, dans les selles. Dans ce projet, des volontaires avaleront des doses connues et sans risque, puis les quantités excrétées seront mesurées afin d’évaluer une possible corrélation chez les patients », précise Pre Clerbaux.

Intégrer le microbiote dans les normes de sécurité alimentaire

Démontrer qu’une nanoparticule spécifique peut modifier les acides biliaires et exercer un effet mesurable sur le foie pourrait, à terme, ouvrir la voie à une stratégie de prévention à l’échelle de la population.

« Si un impact délétère est confirmé, cela justifierait la mise en place de normes réglementaires, à l’image de ce qui a été décidé pour le dioxyde de titane, un colorant alimentaire blanc. Ce serait aussi une étape vers l’intégration du microbiote dans l’évaluation de la sécurité alimentaire », conclut la Pre Laure-Alix Clerbaux qui a, par ailleurs, travaillé trois années au sein du Centre de Recherche Commun de la Commission Européenne, en Italie (JRC), plus précisément au laboratoire de référence de l’UE pour les alternatives aux expérimentations animales, avant de poursuivre une carrière académique.

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