Au-dessus de la plaine d’Osaka, le site de Mozu-Furuichi, appartenant au patrimoine mondial de l’UNESCO, comprend une gigantesque tombe mégalithique appelée kofun et réservée autrefois aux membres de l’élite japonaise. Large de 486 mètres, il s’agit de la plus grande tombe du monde © Sakai City Government

Le patrimoine culturel, une priorité de la recherche européenne

3 décembre 2019
par Michel Claessens
Temps de lecture : 8 minutes

Les images sont encore dans nos mémoires. En 2015 et 2017, le monde entier assistait, impuissant, à la destruction à Palmyre de plusieurs monuments du patrimoine mondial par les milices de l’Etat islamique. Nous étions sous le choc : nous perdions une partie d’un héritage inestimable. Nous assistions à une attaque au présent et nous subissions une perte irréversible pour le futur. Notre patrimoine recèle nos racines, participe à la culture commune et fait partie intégrante de notre avenir.

Ce patrimoine mondial est aujourd’hui menacé et se dégrade. Les outrages du temps, la pollution généralisée et divers phénomènes destructeurs pèsent lourdement sur cet héritage. Mais un virage important a été amorcé récemment, notamment par l’Union européenne, qui consacre des moyens croissants à la protection du patrimoine culturel. C’est aussi un domaine où la coopération internationale en matière d’innovation peut être très utile, car de nombreux pays rencontrent les mêmes difficultés.

L’arc triomphal de Palmyre en 2010 © Bernard Gagnon

Des financements européens croissants

C’est dans ce contexte que le Centre européen de l’Université de Kobe à Bruxelles a organisé récemment à la VUB, à l’occasion de son dixième anniversaire, un symposium sur la coopération Europe-Japon, notamment dans le domaine de la recherche sur le patrimoine culturel.

En une phrase, le Directeur général de la Commission européenne en charge de la recherche et de l’innovation, Jean-Eric Paquet, a résumé la situation. « Alors que l’Europe et le Japon possèdent un patrimoine culturel considérable et consacrent des moyens importants à la recherche, nous n’avons ensemble que deux projets de coopération dans ce domaine. Pourquoi si peu ? »

« En Europe, c’est incontestablement un domaine en expansion », avance le Professeur Gábor Sonkoly de l’Université Eötvös Loránd de Budapest, auteur d’un rapport qui a fait date sur la recherche et le patrimoine culturel. « L’Europe dispose maintenant d’une politique digne de ce nom, de financements croissants et d’une volonté de soutenir les acteurs-clés. »

2018, Année européenne du patrimoine culturel

Ceci s’est notamment concrétisé par l’organisation de l’Année européenne du patrimoine culturel en 2018. « Un très grand succès », souligne sa coordinatrice, Dorota Nigge de la Commission européenne, « à en juger par la formidable mobilisation que l’Année a créée à travers toute l’Europe et son retentissement considérable dans les médias et le public. Au total, pour la période 2014-2020, le programme Horizon 2020 de l’Union européenne a consacré à lui seul près d’un demi-milliard d’euros au patrimoine culturel. »

La Bois du Cazier ©Jmh2o

Le Bois du Cazier bénéficie de la dynamique

En Belgique, le Charbonnage du Bois du Cazier a profité de ses retombées. Ayant rejoint en 2018 la quarantaine de sites dotés du « label du patrimoine européen », le site de Marcinelle bénéficie de cette dynamique. En Europe, la moitié des touristes disent en effet choisir leur destination de voyage pour son intérêt culturel ou historique.

« D’une part, les visiteurs de la région sont de plus en plus nombreux à visiter le site. D’autre part, on a assisté à une augmentation du nombre de visiteurs étrangers : de plus 18% en 2011 à plus 25% en 2012 (année de la reconnaissance par l’Unesco) et 2013. Les meilleures statistiques depuis l’ouverture du site ! Les visiteurs étrangers sont de plus en plus diversifiés et viennent de plus en plus loin. L’impact se traduit également par l’augmentation du nombre de visites guidées pour les groupes : de 450 en 2010 à 855 en 2018, soit 90% d’augmentation », explique Jean-Louis Delaet, directeur du Bois du Cazier.

Près de 250 merveilles du monde sont en Europe

En réalité, c’est la notion même de patrimoine culturel qui s’est transformée au cours des deux derniers siècles. « Après l’ère de la modernisation qui a mis l’héritage du passé au second plan, nous vivons une sorte de “crise du futur”. Elle nous a fait redécouvrir les multiples richesses du patrimoine », poursuit le professeur Sonkoly.

« En conséquence, le patrimoine culturel ne se limite plus aux seuls monuments et œuvres d’art, mais recouvre également l’immatériel, les traditions, la diversité culturelle, etc. Et depuis 1972, en consacrant les “merveilles du monde“, l’UNESCO a fait rentrer le patrimoine naturel dans notre culture commune. » La moitié des quelque 500 sites du patrimoine mondial est située en Europe.

Les technologies s’insinuent dans le patrimoine

Autre évolution importante : l’apport de la recherche et des technologies, qui jouent désormais un rôle-clé dans la protection du patrimoine culturel.

Le recours croissant à la numérisation et aux technologies virtuelles en est l’une des manifestations. La possibilité de reconstituer virtuellement des monuments voire des sites entiers, comme la grotte de Lascaux, ont changé bien des choses. « Mais cet engouement fait malheureusement passer au second plan d’autres domaines vitaux de la recherche », déplore le professeur Sonkoly.

Toujours est-il que la Commission a proposé d’allouer 300 millions d’euros à la recherche dans Horizon Europe pour financer des projets liés au patrimoine culturel matériel, immatériel et numérique. Et ce, depuis la protection, la conservation et la restauration jusqu’à l’innovation, les infrastructures de recherche, les modèles, les dispositifs, les matériaux ainsi que la préservation du patrimoine culturel subaquatique.

Un programme spécifique pour la recherche et l’innovation sur le patrimoine culturel

Pour Christian Ehler, rapporteur du programme Horizon Europe pour le Parlement européen, « Le patrimoine culturel est l’un des projets emblématiques du prochain programme-cadre. »

Priorités politiques de l’Union, à un moment où la montée des populismes met en danger le projet européen, la recherche et l’innovation sur le patrimoine culturel bénéficieront ainsi, pour la première fois, d’un programme spécifique. Résolument transdisciplinaire, ouvert sur le futur et appelant à une collaboration étroite entre chercheurs, économistes, créateurs, responsables d’institutions culturelles, représentants des industries créatives et de la société civile, ce programme reflète le leadership de l’Europe dans ce domaine.

Les mines de silex du néolithique à Spiennes, qui couvrent plus de 100 ha, sont les centres d’extraction minière les plus vastes et les plus anciens d’Europe. Elles sont aussi remarquables par la diversité des solutions techniques mises en œuvre pour l’extraction et en raison de leur lien direct avec un peuplement de la même période. Elles sont reprises au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2000 © Michel Woodbury / SPW

Japon et Europe : des richesses partagées

Le professeur Simon Kaner de l’Université d’East-Anglia, archéologue spécialiste de la préhistoire japonaise, peut témoigner du formidable héritage culturel dont dispose le pays du soleil levant et d’une coopération très vivante avec le Royaume-Uni, qu’illustrent notamment les nombreuses expositions qu’il a organisées.

« Il y a énormément de choses à faire ensemble, mais je manque de ressources financières et humaines : je n’ai que 4 personnes dans mon laboratoire. J’ai cependant bon espoir de mettre sur pied dans quelques années un centre international sur la recherche culturelle », explique-t-il.

Alors, pourquoi seulement deux projets de coopération UE-Japon sur le patrimoine culturel ? D’après Patrick Vittet-Philippe, responsable du Centre européen de l’Université de Kobe, « la complexité des instruments est en partie responsable. Le programme Horizon 2020 de l’Union est, en effet, très ouvert aux pays tiers, mais assimiler la logique de ses instruments n’est pas chose aisée. Pour le Japon se pose en plus le problème récurrent du financement des participations de chercheurs japonais dans des consortiums européens – situation qui, nous l’espérons devrait radicalement s’améliorer avec la perspective de l’association du Japon dans Horizon Europe. »

Un nouveau projet de coopération a été lancé pendant le symposium qui s’est tenu récemment. Pour la professeure Hiroko Masumoto, vice-présidente de l’Université de Kobe, la confrontation des expériences et des recherches dans le domaine du patrimoine culturel entre différentes traditions, comme le Japon et l’Europe, est cruciale.

Au moment où les technologies bousculent les rapports entre chercheurs, institutions et leurs publics dans la préservation et la diffusion des patrimoines tangibles et intangibles, ainsi que les rapports entre patrimoine culturel et création, un tel dialogue est plus que jamais vital et rappelle le rôle-clé de la recherche ‘sans frontières’ pour l’avenir de nos citoyens.

Pour sa part, le professeur Sonkoly souligne aussi que le rapport au temps est culturellement très différent au Japon. « C’est d’ailleurs en travaillant sur le patrimoine culturel que vous prenez conscience de la frénésie actuelle. Il serait dans l’intérêt de toutes et tous de lever un peu le pied, et ceci dans tous les domaines de la société », conclut-il avec philosophie.

 

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