Notre cerveau, nous pousse-t-il à détruire la planète ? Et comment l’en empêcher? Pour répondre à ces questions, la cellule durabilité de la faculté de médecine de l’ULiège a invité le Dr Sébastien Bohler, chercheur en neurosciences, journaliste, auteur et conférencier.
« L’humanité a découvert les antibiotiques, inventé le télescope, construit des cathédrales. Mais malgré une telle intelligence, elle est assez stupide pour, au quotidien, continuer à creuser sa tombe climatique ; pour ne pas se rendre compte qu’il faut changer maintenant et radicalement de trajectoire pour survivre en tant qu’espèce. Si le cerveau humain est globalement très efficace, force est de constater qu’il y a quelque chose en lui qui ne fonctionne pas », énonce-t-il en substance en préambule de sa conférence, avant de révéler le fruit de ses recherches.
Selon lui, la destruction environnementale s’explique en grande partie par un mécanisme neuronal archaïque de récompense qui inciterait l’humain à assouvir 5 besoins fondamentaux : manger, se reproduire, avoir un statut social élevé, fournir le moindre effort et acquérir de nouvelles informations.
Un humain sous influence
La partie externe du cerveau humain, toute plissée, s’appelle le cortex cérébral. Celui-ci s’est fortement développé au cours de l’évolution. C’est lui qui nous confère le pouvoir d’abstraction, la planification, la flexibilité mentale, la capacité de communiquer avec de nombreuses autres personnes par le langage, de concevoir des outils. Autrement dit, le cortex cérébral, c’est le siège de l’intelligence humaine.
Plus on pénètre à l’intérieur du cerveau, plus les parties cérébrales sont anciennes. Le striatum en fait partie. « Son rôle n’est pas du tout de fabriquer de l’intelligence, mais plutôt des désirs et des motivations. C’est lui qui nous incite à reproduire certains comportements en nous administrant, lorsque nous les adoptons, une dose de dopamine, hormone qui procure du plaisir », explique celui qui est aussi le rédacteur en chef de la revue Cerveau et Psycho.
Du plaisir pour survivre
Ces comportements ont aidé nos ancêtres du genre Homo, mais aussi les autres mammifères, à survivre. Le premier est d’être capable de manger une grande quantité de nourriture. Et ce, car l’occasion de se repaître ne se représentera peut-être plus endéans un délai court, et que les nécrophages trépignent pour nettoyer la carcasse.
Un autre comportement pour la survie de l’espèce est, bien sûr, la reproduction. « A chaque relation sexuelle, le système de récompense, médié par le striatum, administre de la dopamine, donc du plaisir. Il n’a pas de fonction stop. Plus on a de relations sexuelles, plus on reçoit de shoots de plaisir. C’est comme cela que l’espèce se multiplie. »
Etre le chef est un autre comportement incité par le striatum. « Etre élevé dans la hiérarchie sociale de votre groupe, acquérir du pouvoir, donne accès plus facilement à la nourriture et aux partenaires sexuelles. De quoi augmenter la chance de survie à court et long termes. Et cela est accru si on obtient un maximum de profits (c’est-à-dire des entrées d’énergie) en minimisant ses efforts (les sorties d’énergie). C’est le principe d’homéostasie. »
« Le cinquième comportement récompensé par le striatum est moins trivial. Etre capable de repérer dans l’environnement naturel des indices discrets de présence (empreintes, poils, coulées, etc.) de proies potentielles ou de prédateurs est un gage de survie pour les hominidés depuis 3 millions d’années. »
L’économie moderne exploite ces désirs illimités
Depuis 150 à 200 millions d’années, le cortex cérébral a pris une ampleur faramineuse chez Homo sapiens. C’est ainsi que des outils de pierre ont été créés. Puis des javelots permettant de rapporter davantage de nourriture. Il y a 10.000 ans, il invente l’agriculture. Puis le moteur à l’explosion, les engrais azotés, les OGM.
« L’intelligence du cortex cérébral a été et est mise au service de ce désir de manger, récompensé par le striatum, et qui n’est limité d’aucune manière. L’humanité est passée en quelques millénaires d’une problématique de rareté de nourriture à une problématique d’excès. Notre cerveau n’a pas évolué pour gérer ce dernier. Cela fait partie des facteurs qui expliquent l’épidémie mondiale d’obésité. Et l’agriculture industrielle, tout en offrant des rendements élevés, émet énormément de gaz à effet de serre, et joue donc un rôle délétère sur le climat», poursuit Dr Sébastien Bohler, auteur du livre « Le bug humain».
Le désir de se reproduire passe aujourd’hui par Internet, haut lieu de la pornographie. « Celle-ci représente 30 % des données qui circulent ! L’essor de nombreuses addictions sexuelles est concomitant à l’apparition d’Internet. L’humanité consomme aujourd’hui quelque 136 milliards de vidéos pornographiques par an ! Et cela a une grande répercussion sur le climat via les serveurs informatiques qui consomment énormément d’énergie, via les écrans qui exigent beaucoup de ressources pour être fabriqués. »
Le besoin de statut social s’exprime notamment sur les réseaux sociaux. Des expériences ont mis en évidence la libération de dopamine dans le striatum de personnes qui obtiennent des « likes » sous leurs publications. « Cette reconnaissance permet de se sentir important, de gravir les échelons dans la communauté virtuelle. Et incite à poster des sujets pour attirer l’attention des autres. » Mais malmène le climat.
L’économie contemporaine exploite à tire-larigot nos désirs illimités médiés par le striatum. Ainsi, celui du moindre effort est comblé par les assistants vocaux en tout genre, mais aussi les trottinettes électriques, etc. « La technologie qui soulage les efforts a, bien entendu, également des effets positifs, comme la machine à lessiver qui a permis aux femmes au siècle dernier de ne plus être enchaînées à leur lavoir, et d’accéder au marché du travail. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de limites.»
Le cinquième comportement récompensé par le striatum est la sensibilité extrême aux nouvelles informations. « Ce sont les alertes emails, les notifications qui attirent notre attention. Au moindre bip, le réflexe, c’est d’aller regarder. Le résultat de l’explosion de l’usage du numérique, c’est un impact énorme sur l’environnement. »
Changer d’équation
Face à ces constats, se pose une question : pour survivre en tant qu’espèce, pour arrêter de détruire notre unique planète, faut-il vivre sans plaisir ?
Si le cortex cérébral est très doué pour produire de l’intelligence, il l’est également pour fabriquer de la conscience. « Des ateliers pratiques montrent que quand on mange en pleine conscience, en ralentissant, en fermant les yeux, on ingurgite moins de nourriture. Et ce, car les petites quantités de dopamine libérées par le striatum prennent une plus grande ampleur », explique Dr Bohler.
Une deuxième voie est le pouvoir de la connaissance, de la culture ainsi que de la curiosité, de l’émerveillement, qui permet d’accéder à la dopamine rapidement. « Des expériences menées par l’Université de Californie montrent qu’au bout d’une vingtaine de minutes de concentration et d’apprentissage du nom des étoiles ou des arbres dans une encyclopédie, le striatum commence à libérer de la dopamine, et ce dans une zone clé de la mémoire. C’est-à-dire que la dopamine va resserrer les liens entre les neurones et permettre d’enregistrer les informations apprises à ce moment-là. » Tout en procurant du plaisir.
La troisième voie qui procure un shoot de dopamine, c’est l’altruisme. « Des expériences menées à l’Université de Zurich révèlent que l’altruisme est bien plus prégnant chez les femmes que chez les hommes. Et que cela est lié principalement à des différences d’éducation instaurées par l’organisation patriarcale de la société : les petits garçons sont incités à être compétitifs pour gagner le respect des autres alors que les petites filles sont valorisées et reconnues socialement quand elles rendent service. Etablir l’altruisme comme norme sociale à l’école, dans la famille, dans les médias, etc., procurerait plus de plaisir et détruirait moins la planète que la compétition. »
« Ces trois voies esquissent un chemin vers la décroissance matérielle et donc vers un moindre impact délétère sur notre planète. Et ce, sans renoncer à la croissance du plaisir. Elles donnent des clés pour changer d’équation », conclut Dr Sébastien Bohler.