Alors qu’elles ont longtemps été négligées par le monde académique, les sciences dites « occultes » suscitent de plus en plus l’intérêt des scientifiques. « De nos jours, les chercheurs ne remettent plus en question la place qu’elles occupent dans l’histoire des sciences et des techniques », fait savoir le Pr Godefroid de Callataÿ, chercheur à l’institut orientaliste de l’UCLouvain. « Pour autant, la recherche dans le domaine (et l’histoire des sciences de manière générale) est restée jusqu’ici très centrée sur l’Occident. »
Avec le projet MOSAIC (Mapping Occult Sciences Across Islamicate Cultures) (2025-2031), soutenu par une prestigieuse bourse ERC Synergy de 9 millions d’euros, le Pr Callataÿ ambitionne de rectifier ce déséquilibre en cartographiant les sciences occultes à travers les cultures islamiques et chrétiennes orientales du 5e au 19e siècle, du bassin méditerranéen jusqu’en Inde. Une étude qui sera menée en partenariat avec plusieurs collègues en Allemagne, Espagne, Etats-Unis et Italie.
Isaac Newton et la pierre philosophale
De l’alchimie à la magie, en passant par l’astrologie ou la géomancie – une technique de divination fondée sur le jeté de cailloux ou d’objets sur une surface –, les sciences occultes regroupent de nombreuses disciplines.
« Celles-ci ont comme caractéristique commune de vouloir aller au-delà des apparences. Le terme “occulte“ se rapporte ici à “ce qui est caché”. Aussi, elles vont chercher à extrapoler, à partir de données visibles, des données invisibles. Dans ce sens, on pourrait considérer aujourd’hui l’astrophysique ou la médecine comme occultes », soutient le Pr de Callataÿ, co-pilote du projet MOSAIC.
Bien que ces disciplines soient aujourd’hui largement marginalisées, elles ont été pratiquées durant des siècles par de nombreux savants, comme Isaac Newton, qui s’est consacré pendant des années à des recherches alchimiques . Par ailleurs, ces sciences ont longtemps été soutenues par le peuple et les élites. « L’empereur Auguste (1er siècle avant J.-C. – 1er siècle après J.-C.), était, à ce titre, un féru absolu d’astrologie. »
L’histoire incomplète des sciences occultes
Aujourd’hui, les historiens reconnaissent pleinement l’importance de ces savoirs dans l’historiographie des sciences. Le développement de l’astrologie et de l’astronomie, par exemple, est intimement lié. Néanmoins, nos connaissances des sciences occultes restent superficielles.
Jusqu’à présent, ce sont surtout celles pratiquées en Europe, et donc les sources latines associées, qui ont été étudiées, « alors même que le nombre de manuscrits et d’artefacts en arabe, persan, turc, grec et syriaque dans le domaine est nettement plus important », rappelle le spécialiste en histoire des sciences et philosophie arabe.
Selon les porteurs du projet, le désintérêt pour ces sources résulte « de la vision colonialiste et orientaliste des deux derniers siècles, selon laquelle les formes de savoir non-européennes et non-chrétiennes étaient assimilées à des “superstitions indigènes”, et donc considérées, au mieux, comme uniquement “religieuses” ou “mystiques” .»
A travers l’étude MOSAIC, les scientifiques entendent réintégrer la richesse des sciences occultes islamiques et chrétiennes orientales dans cette histoire.
Changement de paradigme en vue
Pour ce faire, le projet se déroulera en six volets interconnectés. Dans un premier temps, les chercheurs vont identifier, traduire, et analyser les encyclopédies, traités, manuels et autres commentaires en rapport avec ces sciences conservées dans les bibliothèques et musées de la zone étudiée. L’équipe mènera, d’autre part, des études de cas afin de montrer la nature et l’étendue de l’impact historique de ces disciplines.
« Le projet visera également à développer une série d’outils numériques. L’un d’eux a d’ailleurs déjà été conçu: il s’agit du logiciel M-Classi », rapporte le Pr de Callataÿ. « Cet outil se fonde sur une base de données extraites d’une centaine d’œuvres historiques, qui va, bien entendu, encore s’enrichir avec le projet MOSAIC. Il permet de cataloguer les manuscrits en différentes classifications des sciences dans l’islam, par langue, par période, etc. »
En parallèle, les partenaires prévoient de reproduire des instruments et des artefacts utilisés à l’époque, mais aussi de mener des tests en laboratoire. « L’idée sera de combiner théorie et pratique en tentant de reconstituer des expériences, alchimiques notamment, décrites dans des manuels. »
En explorant 1.500 ans de traditions orientales, dans une zone géographique aussi vaste, les chercheurs ont de fortes chances de réaliser des découvertes significatives. « Avec ce projet européen, nous disposons d’une force de frappe conséquente pour révolutionner la recherche dans le domaine », estime Godefroid de Callataÿ.