Face à l’urgence climatique et aux discours des climatologues, certains développent ce que l’on appelle de l’éco-anxiété ou anxiété climatique. Une forme d’anxiété liée aux inquiétudes suscitées par l’absence d’action en faveur du climat, les impacts actuels et futurs du changement climatique ainsi que par l’incertitude quant au moment et à la localisation de ces impacts.
Peu de données tangibles
« Nos travaux sont partis d’un constat : le milieu médical abordait de plus en plus souvent la question de l’éco-anxiété sans qu’il n’existe pour autant des bases scientifiques solides concernant cette catégorie précise d’anxiété » explique Alexandre Heeren, chercheur qualifié FNRS et professeur à l’Institut de recherche en sciences psychologiques de l’UCLouvain.
« En raison de ce manque relatif de preuves scientifiques, il est difficile pour les experts, les autorités et les professionnels de la santé mentale de comprendre ce phénomène de manière appropriée et d’intervenir en conséquence. »
A l’origine, des sondages nationaux et internationaux faisaient état de taux surprenants de personnes déclarant souffrir d’une anxiété climatique importante, et il n’y avait guère de doute quant à l’escalade future de cette anxiété. Ce n’est qu’en 2020, que de premières études scientifiques ont montré que près d’une personne interrogée sur cinq éprouvait de l’anxiété climatique qui se traduisait par des pleurs ou des cauchemars.
« Et un participant sur 4 indiquait souffrir d’un niveau d’anxiété tel qu’il l’empêchait de fonctionner normalement dans la vie de tous les jours : difficulté à nouer des contacts sociaux, à travailler ou encore à s’occuper de sa famille. »
Quel rôle des médias et du milieu social ?
Récemment, le chercheur louvaniste a mené une large étude auprès de plus de 2000 personnes francophones de 8 pays africains et européens. L’un des objectifs de cette étude internationale ? Etudier finement la situation dans ces pays et évaluer le rôle du traitement médiatique de l’urgence climatique sur l’anxiété du même nom.
En effet, si les médias européens traitent régulièrement de l’urgence climatique, c’est nettement moins le cas en Afrique. L’étude montre que 12 % des participants éprouvent régulièrement de l’anxiété climatique associée à de la souffrance les empêchant de fonctionner correctement. Mais aussi que 21 % se sentent affaiblis dans leur vie quotidienne à cause de l’anxiété climatique.
« Les résultats sont identiques en Europe et en Afrique. Ce qui signifie que la perception de l’urgence n’est pas liée spécifiquement au traitement médiatique de cette actualité. Même chose pour le milieu socio-économique, ce dernier n’influence pas le degré d’anxiété. En revanche, nous avons constaté que les jeunes âgés de moins de 37 ans étaient plus sévèrement touchés que les personnes plus âgées. »
Enfin, détail important mis en évidence par cette étude : les personnes déclarant souffrir d’anxiété climatique n’étaient, avant cela, pas sujettes au stress, à la dépression ou à l’anxiété. « L’anxiété climatique ne se développe pas sur un terrain favorable, elle peut donc toucher n’importe qui disposant d’une très bonne santé mentale. »
Bonne ou mauvaise chose ?
De but en blanc, on pourrait penser que l’anxiété, qu’elle soit climatique ou non, est une mauvaise chose. Qu’il s’agit d’un facteur de stress et que c’est forcément néfaste.
Mais Alexandre Heeren nuance : « si on regarde la littérature fondamentale, on apprend que l’anxiété existe depuis toujours et qu’elle apparaît lorsqu’un individu est dans une situation de danger. S’il est encore possible d’éviter ce danger, l’anxiété pousse à l’action et permet au sujet de se « sauver ». En revanche, si le danger est imminent, presque inévitable, l’anxiété paralyse celui qui en souffre et il est incapable de mettre en œuvre quelque chose pour s’en sortir sain et sauf. »
C’est exactement ce qui est observé dans l’étude d’Alexandre Heeren. L’éco-anxiété légère va pousser ceux qui en souffrent à agir à leur propre échelle : abandonner la voiture au profit du vélo, prendre moins l’avion, consommer local, etc. Tandis que l’éco-anxiété grave paralyse complètement ceux qui en souffrent. Non seulement, ils sont incapables d’initier le moindre changement écologique dans leur vie, mais , en plus, ils ne peuvent plus vivre normalement.
« Dans le premier cas, on peut considérer que l’anxiété climatique n’est pas forcément une mauvaise chose. En particulier pour les nouvelles habitudes, bénéfiques pour le climat, qui en découlent. En revanche, le second doit alerter les experts de la santé mentale ! Il n’est plus possible de nier l’existence de l’anxiété climatique et il est temps de savoir comment y répondre. »
L’urgence climatique s’accélérant, l’absence d’anticipation de ce problème pourrait avoir des conséquences néfastes sur la santé mentale et le bien-être d’un grand nombre de personnes dans le monde.