Serpents tournants de Kitaoka © WOM

Comment se perdre à Bruxelles en quelques mètres

4 avril 2023
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 5 min

Fiable notre cerveau? Une visite au WOM (World of Mind), le nouveau musée bruxellois sur le cerveau installé à Tour et Taxis, nous en montre très vite les limites. Un exemple? Dans la pièce « white out », qui reproduit un phénomène visuel bien connu des explorateurs polaires, le visiteur se perd… en une fraction de seconde!

La désorientation est totale dans ce couloir au brouillard extrêmement lumineux. Tout est blanc. Le relief a disparu. Nos repères visuels sont comme vaporisés. On perd le sens de la profondeur et de l’orientation. Résultats: notre cerveau déclare forfait. On progresse à tâtons pour trouver la sortie.

Un cerveau facile à abuser

Et c’est bien là l’idée de ce nouveau musée: nous montrer de manière ludique et expérimentale comment notre cerveau fonctionne, mais aussi comment sa perception du monde peut être biaisée, abusée par ce qu’il voit, ce qu’il entend, ce qu’il ressent. Le tout au travers de multiples expériences à réaliser tout au long de la visite et expliquées de manière dynamique et agréable par un guide de très grande qualité: le neurologue Steven Laureys, spécialiste des états de conscience altérée, directeur de recherche du FNRS et professeur à l’Université de Liège.

« Au fil des salles, on croise de grands écrans verticaux où le Pr Laureys nous explique, à travers de courtes vidéos tournées en compagnie de sa fille Clara, l’une ou l’autre facette du fonctionnement du cerveau », explique Henri Dupuis, scénariste du musée. « Il apporte l’explication scientifique aux situations inhabituelles et immersives que nous rencontrons. »

Des illusions particulièrement envoûtantes

Il n’est pas le seul à apporter une explication scientifique aux expériences proposées. C’est le cas notamment des serpents tournants de Kitaoka. Ils illustrent l’apparence du mouvement que certaines images peuvent générer en trompant notre cerveau.

Serpents tournants de Kitaoka © WOM

« Quand on regarde une scène, l’œil n’est jamais fixe, il effectue constamment de petits mouvements saccadés », détaille la page derrière le code QR qui apporte plus d’informations aux visiteurs. « Le cristallin,  sorte de lentille transparente située à l’intérieur de l’œil et qui effectue la mise au point de l’image, fait donc lui aussi de fréquents ajustements pour maintenir l’image nette (phénomène d’accommodation). De quoi créer des illusions de mouvement, de distances, etc. »

Image ambiguë : chat ou éléphant? © WOM

Plus loin, ce sont des images ambiguës qui attirent le regard.  « Ces images ont été conçues pour donner à nos yeux et notre cerveau le choix entre deux possibilités. Notre cerveau va d’abord choisir l’une d’elles (pas la même pour tous !). Ensuite, avec un peu d’attention, l’autre image va apparaître. À partir de ce moment, notre cerveau ne sera plus capable de choisir et va passer sans cesse d’une possibilité à l’autre. »

Une certaine réalité interprétée par nos expériences personnelles

En réalité, le cerveau transforme les informations perçues par nos sens, et en réalise une représentation cohérente. « Ce n’est donc pas « la » réalité que nous percevons, mais « une » réalité, une représentation de celle-ci fabriquée à partir de notre expérience, des connaissances acquises », proclame-t-on au WOM. « Elle est donc subjective. Et lorsque les informations envoyées par nos sens ne coïncident pas avec celles de notre base de données interne, l’illusion s’installe.»

« L’idée est de défier notre cerveau, puis de nous amener à réfléchir », reprend Henri Dupuis. « Pourquoi ai-je vu ou entendu telle ou telle chose? On aimerait que chaque visiteur sorte de cette exposition en ayant des doutes. Des doutes de nature scientifique, sur ce qu’il voit, ce qu’il entend. Qu’il s’interroge sur sa perception du monde. Et de la manière dont il le perçoit. »

Ce qui nous amène à la question du réel. Si le réel désigne ce qui existe indépendamment et en dehors de nous, la réalité caractérise ce qui existe pour nous grâce à notre expérience. C’est donc elle qui est perçue par nos sens plutôt que le réel. Et plutôt mal perçue à cause des limites de ceux-ci.

Le rat rit beaucoup…

Ainsi, notre œil (sens dominant pour beaucoup) ne peut percevoir qu’une petite partie de la lumière. Dès les infrarouges et les ultraviolets, il est aveugle. Pourtant, le réel existe dans ces longueurs d’onde. De même, il ne peut distinguer des objets (qui existent pourtant) dans l’obscurité ni discriminer trop d’images en même temps. Et nos oreilles sont sourdes aux infrasons et aux ultrasons alors que bien des phénomènes, naturels ou non, en émettent. « Le rat rit beaucoup, paraît-il. Mais on ne l’entend pas », souligne Henri Dupuis.

Une dernière illustration pour s’en convaincre? Une des salles nous propose un imposant décor de jungle. La fresque murale, éclairée par une lumière blanche, présente une multitude de détails plus ou moins visibles. Mais les « dangers » de cette jungle sautent bien plus aux yeux lorsque l’éclairage vire au rouge, au bleu ou au vert. Notre cerveau n’en voit plus de toutes les couleurs. La couleur d’un objet dépend donc de la couleur de la lumière qui l’éclaire. Et les détails sautent aux yeux. Comme pour 120 autres expériences aussi ludiques qu’instructives à découvrir au WOM.

Jungle sous une lumière blanche © WOM
Jungle sous une lumière verte © WOM
Jungle sous une lumière rouge © WOM
Jungle sous une lumière bleue © WOM
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