Faut-il poursuivre l’élargissement de l’Union européenne ?

4 avril 2025
par Raphaël Duboisdenghien
Temps de lecture : 5 minutes
«De six à trente-six?», par Jean De Ruyt. Collection l’«Académie en poche». VP 9 euros, VN 3,99 euros

Un nouvel élargissement de l’Union européenne (UE) se profile. «L’étape dans laquelle nous nous engageons en ce moment, après avoir entamé une négociation d’adhésion avec l’Ukraine et la Moldavie, est moins aventureuse que certains ne le prétendent», pense Jean De Ruyt. «Tous ceux qui ont vécu le développement de la construction européenne pendant ces cinquante dernières années ont dû, à un moment ou un autre, s’occuper d’une négociation d’adhésion.»

Avant de se pencher sur les négociations en cours, le diplomate de carrière scrute les procédures d’élargissement et les adhésions successives dans son petit manuel «De six à trente-six?», paru dans la collection l’«Académie en poche». L’ancien représentant permanent de la Belgique à l’UE aborde le problème d’absorption de l’Union. La nouvelle dimension géopolitique du processus.

Il faudra beaucoup d’efforts

Pour Jean De Ruyt, «il faudra beaucoup d’efforts, de part et d’autre, pour que les pays des Balkans occidentaux, l’Ukraine, la Moldavie – et, si elle renonce à ses démons, la Géorgie – se rapprochent de nous, dans tous les domaines, avant de nous rejoindre.»

Six pays ont fondé la Communauté européenne devenue l’UE. La France, l’Allemagne de l’Ouest, l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg. En 2004, 10 États ont rejoint l’Union. Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Tchéquie, Slovaquie et Slovénie.

Aujourd’hui, l’UE compte 27 États. Faut-il poursuivre l’élargissement de l’Union? «La question se pose de nouveau de manière aiguë avec la perspective d’adhésion des pays des Balkans et de l’Ukraine», observe le membre de la Classe des lettres et sciences morales et politiques de l’Académie royale de Belgique. «On notera que dans le passé, le problème de l’adaptation n’a jamais constitué un obstacle empêchant la poursuite de l’élargissement. La pression politique pour l’élargissement a toujours été plus forte que la volonté politique d’approfondir l’intégration. On l’a vu avec le grand élargissement de 2004 qui a eu lieu cinq ans avant que l’adaptation nécessaire ne soit mise en place, après bien des détours, avec le Traité de Lisbonne.»

«L’effort financier de l’Union dans les pays candidats est déjà important. Mais devrait encore s’amplifier.»

La survie de l’Union

Nos valeurs de société, continueront-elles à s’imposer à tous? La politique agricole commune (PAC) résistera-t-elle à l’entrée dans l’Union de l’immense Ukraine? En 1986, l’adhésion de l’Espagne, grand pays agricole, était déjà une menace pour la PAC…

«La réponse est évidemment que la négociation d’élargissement, à l’instar des précédentes, devra être doublée d’une négociation interne à l’Union quant à sa capacité d’absorption», indique le conférencier au Collège Belgique. «Mais dans le contexte mondial actuel, il faudra, en réalité, aller encore bien plus loin.»

«Dans la conjoncture mondiale actuelle, le besoin de réforme de l’Union dépasse de loin ce qui est nécessaire dans la perspective du nouvel élargissement. On ne parle plus seulement de capacité d’absorption de l’UE, mais de sa survie même dans un contexte géopolitique mondial en plein bouleversement.»

Revoir la politique agricole commune

Les principaux défis du nouvel élargissement sont identifiables. «Certains sont semblables à ceux du grand élargissement de 2004», explique le diplomate qui a été ambassadeur auprès de l’OTAN et des Nations Unies à New-York. «Il s’agit de pays qui se trouvaient dans le monde communiste et qui n’ont découvert la démocratie et l’économie de marché que dans la dernière décennie du XXe siècle. La lutte contre la corruption se révèle en outre plus difficile encore dans les pays qui faisaient partie de l’ex-Union soviétique que dans les autres pays de l’Est.»

«Dans le domaine économique, le problème principal est évidemment celui de l’agriculture ukrainienne. L’Ukraine est un des principaux producteurs et exportateurs de produits agricoles au monde. Plus de 55% de ses terres sont arables et emploient 14% de la population.»

«L’accord d’association conclu avec l’Union européenne en 2014 a ouvert la porte du marché intérieur européen. Mais il est clair qu’avec l’adhésion, il faudra aller beaucoup plus loin. Avec soit une transition longue. Soit une révision de l’ensemble de la PAC.»

«Il ne faudrait pas, selon nous, se faire d’illusions sur l’ampleur possible des réformes institutionnelles à l’occasion du prochain élargissement», ajoute Jean De Ruyt. «Il n’y a pas beaucoup d’enthousiasme au sein du Conseil de l’Union pour des modifications des traités allant plus loin que les accords d’adhésion eux-mêmes. En effet, la perspective d’une ratification par les 27 parlements nationaux des États membres – avec, dans de nombreux pays, la perspective d’un référendum – contribue à freiner les ardeurs dans ce sens.»

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