La transition alimentaire stimulée par la crise

4 juin 2020
Par Daily Science
Temps de lecture : 4 minutes

La crise sanitaire et le confinement ont replacé l’alimentation au cœur des préoccupations, avec un attrait pour les produits locaux. Pour le Pr Haïssam Jijakli, fondateur du Centre de Recherches en Agriculture Urbaine (C-RAU )à Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège), cultiver davantage dans les villes et leurs alentours est une des clés de la transition alimentaire en cours.

La crise fait revenir à l’essentiel

« La pandémie que nous traversons est un facteur d’accélération, un stimulateur d’une transition qui était en cours, notamment en ce qui concerne l’alimentation. L’intérêt pour les produits locaux, la mise sur pied de circuits courts de production et de distribution, les ventes en direct par les producteurs, la mise en valeur de produits locaux dans certains supermarchés : ces éléments étaient en place avant la crise, mais viennent de s’amplifier fortement », explique le Pr Jijakli.

Pourquoi ? « La crise nous fait revenir à l’essentiel. Et parmi les besoins vitaux, l’alimentation est au centre. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les besoins de base ont pu être en permanence assouvis (en choix, en quantité), ce qui a peu à peu amené à faire perdre la notion de difficulté éventuelle d’approvisionnement. Avec la crise sanitaire, les frontières se sont fermées, or notre alimentation dépend de l’importation.»

La peur de manquer de nourriture

Il y a 40 ou 50 ans, près de 50 % du budget d’un ménage étaient dépensés pour se nourrir. Aujourd’hui, seuls 12 % y sont en moyenne consacrés. Certains produits sont vendus tellement bon marché que l’on n’avait, avant la crise, pas l’impression qu’il était possible de manquer de nourriture.

« Le fait que des rayons soient dévalisés au début du confinement a contribué également à faire apparaître ceci : se nourrir tous les jours, cela ne coule pas de source ! Comment, dès lors, s’assurer d’avoir à l’avenir de quoi remplir son assiette ? Cela paraît logique de se tourner vers les produits locaux qui, par ailleurs, apportent une confiance en termes de qualité », précise-t-il.

Le rôle clé de l’agriculture urbaine

Voilà bientôt 10 ans que le Pr Jijakli a fondé le Centre de Recherches en Agriculture Urbaine à Gembloux Agro-Bio Tech ULiège. Selon lui, réinvestir dans la culture en zones urbaines et péri-urbaines, est l’une des clés de la transition alimentaire en cours.

« La vocation première de l’agriculture en milieu urbain dans les pays européens n’est pas de nourrir tous les citadins – souvent, on parle de moins de 10 % – mais bien de permettre une reconnexion à la nature, à sa fonction nourricière. Il n’est pas si facile de cultiver ! Montrer à l’ensemble de la population, en misant sur la proximité, les difficultés et enjeux qui existent autour de la culture, et donc de l’alimentation, contribue à rendre ses lettres de noblesse à l’agriculture et à la valeur du travail. Et fait prendre conscience de l’importance d’octroyer le prix le plus juste à ceux et celles qui nous nourrissent. »

Emergence de nouvelles techniques …

« Depuis une quinzaine d’années, le mouvement reprend, avec l’émergence de nouvelles techniques. En ville, il s’agit de cultures hors sol (toitures, balcons…), comme l’aquaponie, et en périphérie, il s’agit de cultures en pleine terre mais sur des petites étendues. Là où les betteraves ou le blé se développent sur des champs de 60 hectares, les cultures maraîchères (ou de permaculture, NDLR) demandent de plus petites surfaces, de 2 ou 3 hectares. Le travail y est plus intensif, mais la valeur plus forte. »

… et de nouvelles vocations

« Les agriculteurs urbains, ou « néo-culteurs » sont convaincus qu’on peut apporter une production locale, saine, de saison et respectueuse de l’environnement à partir des villes. On trouve parmi eux des jeunes remplis d’idéaux, mais parfois avec une certaine naïveté. Il y a aussi des personnes de 40, 50 ans, changeant de carrière et en recherche de sens via l’agriculture, qui ont souvent un esprit entrepreneurial, mais pas nécessairement les connaissances du métier. Idéalement, pour ne pas perdre leur motivation ou que leur projet ne vienne à s’effondrer à cause de mauvais choix, ces personnes doivent être accompagnées », conclut-il.

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