Le prototype de test en papier pour contrôler la qualité de l'eau © UCLouvain

Un test en papier pour analyser la qualité de l’eau

4 août 2022
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 5 min

Un test analytique innovant est à l’étude dans le laboratoire de Jean-Pierre Raskin, professeur à l’école polytechnique de l’UCLouvain. La qualité biologique de l’eau pourrait bientôt être contrôlée en déposant simplement quelques gouttes sur un capteur en papier. Comme pour les autotests covid, l’apparition d’une ligne de couleur rouge, en plus de la ligne de contrôle, indiquera la présence du pathogène d’intérêt au sein de l’échantillon. Un prototype est en cours de développement pour détecter deux souches bactériennes pathogènes, dont E. coli. Une fois mis au point, il pourra être élargi à d’autres souches bactériennes, virales, voire à polluants chimiques.

Tests immunologiques sur papier

Tout comme les bandelettes de tests révélant le pH, le choix du matériau pour ce capteur s’est porté sur le papier. Il s’agit d’un papier en nitrocellulose, un dérivé de la cellulose aux propriétés biologiques intéressantes, capable notamment de capturer les bactéries.

Sur ce support, en collaboration avec des biologistes, Grégoire Le Brun, ingénieur en doctorat et principal initiateur de ce projet de recherche récemment primé par la Fondation Roi Baudouin, incorpore une interface biologique (des anticorps). Celle-ci est capable de reconnaître de façon spécifique une souche bactérienne ou un type de virus et d’attacher, en quelque sorte, les pathogènes d’intérêt au détecteur.

« A l’avenir, une même languette de papier pourra être capable de détecter la présence d’une ou plusieurs souches de bactéries et de virus au sein d’un échantillon. Autant de lignes apparaîtront que d’espèces de pathogènes détectées», explique-t-il.

Prototype de test en papier détectant une souche bactérienne présente au-delà d’un certain seuil dans quelques gouttes d’un échantillon d’eau © UCLouvain

Limites de détection

Les limites de détection du test papier sur les deux souches bactériennes étudiées sont actuellement encore relativement élevées. Un axe prioritaire de recherche est d’améliorer la sensibilité. Notamment pour être capable de détecter la présence de bactéries en quantités infimes, et d’ainsi déterminer si une eau est potable ou non.

« Toutefois, il est bon de noter qu’une détection très précise n’est pas toujours nécessaire, tout dépend de l’application. Une industrie agroalimentaire qui souhaiterait réutiliser son eau doit s’assurer de l’absence totale de contamination par un pathogène X avant de la réinjecter dans son circuit interne. Dans ce cas, dans un usage de « early warning », le seuil de détection peut être assez élevé. » Il en est de même dans les eaux de baignades, les étangs.

L’intérêt pour ce genre de tests est très marqué dans les pays en voie de développement et moins favorisés. « Via nos proches collaborateurs, on est en contact avec les Philippines, où des problèmes d’infiltrations souterraines d’eau marine affectent les ressources en eau douce. Certaines îles sont dénuées de laboratoire. D’autres en ont un, mais il est difficile d’accès et éloigné parfois de plusieurs centaines de kilomètres d’un site de prélèvement. Dans ces conditions, on comprend aisément l’intérêt des détecteurs portatifs et faciles d’utilisation qui indiqueraient rapidement la présence ou l’absence de certains pathogènes dans des échantillons d’eau douce », et pourraient de la sorte qualifier l’eau analysée de potable ou de non-potable.

Nos pays industrialisés, soumis à des pressions de plus en plus fortes sur les ressources en eau, pourraient également y avoir recours. « Actuellement, il faut minimum 2 à 3 jours pour connaître le résultat d’une analyse de qualité de l’eau réalisée par un laboratoire. Avec notre système, on réduira l’attente à 15 minutes », poursuit Grégoire Le Brun.

De l’électronique intégrée au papier

A l’avenir, peut-on espérer un test révélant la présence ou l’absence d’un pathogène au-delà d’un certain seuil, mais également en quelle quantité ? « On y travaille en essayant d’ajouter un dispositif électronique à la tigette en papier. Le défi est de taille car totalement innovant. »

« L’électronique classique utilise des cartes réalisées à base de matériaux semi-conducteurs ou métalliques qui, une fois jetées, sont très faiblement recyclées. Dans notre cas, pas de puce à usage unique, mais une électronique à faible impact environnemental. Concrètement, il y aura deux parties à notre kit analytique : la tigette en papier, jetable mais recyclable, qui sera insérée dans un système de lecture électronique, quant à lui, réutilisable pour des milliers de mesures. »

Un travail systémique, transversal et sociétal

Ce projet de recherche a été lancé voilà 3 ans par Grégoire Le Brun avec son promoteur de thèse . Depuis lors, l’équipe s’est étoffée d’une dizaine d’ingénieurs et de biologistes, comprenant Margo Hauwaert, récente lauréate du prix HERA « Sustainable Engineering 2021» pour son travail de fin d’étude réalisé sur le même projet. Des sociétés de biotechnologie wallonne et d’autres projets belges sur la qualité de l’eau offrent leur soutien et leur expertise, indispensables pour la réussite du projet.

« De plus, des économistes des ressources naturelles et des sociologues ont été intégrés à notre réflexion. On a aussi entamé des démarches de sciences citoyennes, sous la forme de panels de citoyens avec lesquels on discute de l’intérêt et de l’impact de tels capteurs », précise le chercheur.

« Et ce, pour s’assurer que notre produit, lorsqu’il sortira du laboratoire, aura un impact sociétal réellement positif. » Après avoir subi les longues démarches de validation analytique, le test pourrait être commercialisé d’ici quelques années.

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