Ouvrez grand les yeux ! Vous voilà partis pour une immersion dans l’univers fascinant de petites bêtes trop souvent méprisées : les punaises. Assez menues – entre 2 et 20 mm -, elles méritent qu’on s’équipe d’une loupe pour se régaler de leur esthétisme fou. En Belgique, on recense environ 650 espèces de punaises, réparties en une quinzaine de familles.
Elles se retrouvent partout. Sous les pierres, dans les mousses, au sol, sous l’eau, sous l’écorce des arbres ou à leur sommet, sur des plantes herbacées, etc. Certaines affectionnent les zones baignées de soleil, d’autres ne jurent que par l’ombre fraîche. Quelques espèces, hématophages, piquent les mammifères et les oiseaux pour se nourrir de leur sang. Mais la majorité des punaises sont phytophages. Certaines sucent la sève de n’importe quelle plante, tandis que d’autres, qualifiées de sténophages, dépendent d’une seule espèce végétale pour se nourrir.
Avec cette diversité d’habitats et de modes de vie, le monde des punaises recèle encore bien des mystères et reste largement méconnu, même des biologistes.

Un recensement par des bénévoles qualifiés
L’an dernier, lors de la première édition de FrichNat — un projet de recherche s’appuyant sur la participation de naturalistes amateurs pour inventorier certaines espèces vivant dans les friches industrielles —, financée par le Plan de Relance de la Wallonie, l’attention s’était portée sur les reptiles, les criquets et sauterelles, les araignées, les lichens et les … punaises phytophages. Alors qu’une espèce, invisible depuis plus de 80 ans, a été observée à plusieurs reprises, le nombre de visites effectuées sur certains sites s’était révélé trop limité pour établir des statistiques significatives.
« Cette année, nous réitérons donc l’expérience afin d’obtenir des résultats solides pour trois groupes de punaises. Nous visons à réaliser quatre inventaires complets dans chaque friche», précise Chloé Dagnelie, doctorante réalisant sa thèse au sein du laboratoire Biodiversité, Ecosystèmes et Paysages de Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège).
Cet été, des formations de qualité ont été proposées aux naturalistes bénévoles — pour la plupart membres de l’ASBL Cercles des Naturalistes de Belgique — afin qu’ils puissent identifier, durant cette saison, trois groupes particuliers de punaises : les Coreoidea, les Pentatomoïdes (ou punaises des bois) et les tigres (Tingidae).

Chassez la nature, elle revient au galop
Ces inventaires ciblent des friches wallonnes peu, voire pas, explorées l’an dernier. « Nous voulons déterminer avec précision quelles espèces sont présentes parmi ces trois groupes et si elles sont généralistes ou spécialisées », précise Chloé Dagnelie.
L’étude porte principalement sur des friches situées dans le bassin industriel wallon, à proximité de Liège, Mons et Charleroi. Mais qu’appelle-t-on une friche ? C’est un espace ayant accueilli autrefois une activité industrielle — métallurgie, verrerie, entreposage de matériaux, etc. — et qui s’est ensuite régénéré de manière spontanée, sans intervention humaine.
La Wallonie compte pas moins de 2 263 friches, réparties sur une superficie totale de 3 720 hectares. À l’échelle européenne, ces terrains couvriraient plusieurs centaines de milliers d’hectares. C’est dire l’importance de s’intéresser à ces milieux.

Aller au-delà des données d’occurrence
Les Cercles des Naturalistes de Belgique (CNB) sont des partenaires cruciaux à la réalisation de ce projet grâce à leur expertise en identification d’espèces, notamment via les clés et les protocoles d’identification qu’ils ont élaborés.
« Les protocoles – qui garantissent la transparence et la réplicabilité de l’expérience – sont essentiels pour aller au-delà des simples données d’occurrence qui ne servent finalement qu’à constituer des atlas », précise Stéphane Claerebout, écopédagogue aux CNB et spécialiste des punaises. Pour identifier les insectes des trois groupes d’intérêt, le protocole mis en place est composé de quatre sous-protocoles, tous indispensables, et à réaliser entièrement pour que les données soient validées.

Une succession de sous-protocoles
Afin d’expliquer le premier, l’écopédagogue saisit un tamis où il dépose et dilacère de la mousse prélevée au sol. Les punaises sont collectées sur le drap blanc tendu en dessous. Elles sont alors disposées individuellement dans une boîte de Petri garnie d’ouate, prêtes à être identifiées grâce à une loupe et des clés d’identification.

Un autre sous-protocole consiste à soulever plusieurs pierres, chacune de la taille d’une main et espacées d’au moins cinq mètres, afin d’observer les espèces qui s’y cachent. Quant au battage des arbres et des lianes jusqu’à deux mètres de hauteur à l’aide d’un bâton, c’est une méthode particulièrement efficace, permettant de faire tomber et de récolter un grand nombre de spécimens à identifier.


Le quatrième sous-protocole consiste à pratiquer le fauchage actif à l’aide d’un filet fauchoir, pendant 15 à 20 secondes, puis à identifier les espèces de punaises capturées. L’opération est répétée jusqu’à atteindre un total de 3 minutes de fauchage. Si, au cours de cette session, au moins une espèce appartenant à l’un des trois groupes d’intérêt est observée, on prolonge alors le fauchage actif de 3 minutes supplémentaires.

Les espèces identifiées sont ensuite saisies dans Qfield, une application mobile, puis envoyées dans le cloud. Chloé Dagnelie peut ainsi récupérer ces données pour alimenter ses analyses statistiques. Et esquisser le faciès biologique des friches industrielles wallonnes.