Un rendement plus élevé qu’une culture en pleine terre, en utilisant moins d’engrais et jusqu’à 70 % d’eau en moins. La culture bioponique a tout pour plaire. Surtout qu’une version low-tech, donc à bas coût de production, est à l’étude et à l’essai. Cela se passe à Lubumbashi, en République Démocratique du Congo, sous la houlette de Dr Félicien Mununga Katebe, qui vient de défendre sa thèse à Gembloux Agro-Bio Tech. Adhérant à la mouvance du circuit court, il a tout d’abord travaillé à la production d’un engrais liquide de qualité à partir de fientes de poulets élevés localement. Puis celui-ci a été utilisé pour faire croître des laitues hors-sol, selon la technique de bioponie.
Une solution hors-sol
Au départ, Félicien Mununga Katebe s’est lancé dans une thèse avec l’idée de trouver un moyen de cultiver des légumes sains à Lubumbashi. Une sévère pollution des sols y est suspectée depuis plusieurs années, confirmée par des analyses chimiques réalisées par lui-même. La terre est gorgée de polluants, dont des métaux lourds, issus des extractions minières environnantes. Le jeune chercheur a alors tenté de rendre cette terre cultivable avec différents amendements. « Malgré les efforts, les cultures étaient immangeables par rapport aux normes sanitaires. »
Si ce n’est pas dans le sol, ce sera hors-sol. Félicien s’est alors tourné vers les techniques de culture ne nécessitant pas de substrat qui sont en plein essor en Europe. En particulier, c’est la bioponie, une méthode dérivée de l’hydroponie, qui a retenu son attention.
Un engrais biosourcé
Toutes deux sont des techniques de culture hors-sol, les racines des plantes étant plongées dans une eau chargée de nutriments. Toutefois, la bioponie se différencie de l’hydroponie par l’origine de ces nutriments.
Si l’hydroponie utilise des engrais synthétiques issus de la pétrochimie, la bioponie a recours à des solutions nutritives minérales provenant de déchets biologiques. En l’occurrence, dans ce projet, des fientes de poulets élevés localement, soit par des petits producteurs, soit par des industries.
« S’inscrivant dans l’économie circulaire, la bioponie se veut bien moins polluante en termes de production de minéraux nécessaires aux plantes », insiste Pr Haïssam Jijakli, promoteur de la thèse de Félicien Mununga Katebe et directeur du Centre de Recherches en Agriculture urbaine à Gembloux.
Un élevage en plein essor
L’idée de se tourner vers les déjections de poulets n’est pas anodine. La consommation de ces volailles est en plein boom à Lubumbashi, au point que des industries multinationales s’implantent pour produire de la chair de poulet et des œufs. De nombreux petits producteurs agrandissent aussi leur poulailler pour glaner quelques revenus complémentaires. De ces élevages découlent de grandes quantités de fientes à gérer. Les composter et les minéraliser pour en tirer de l’engrais bioponique permettraient d’éviter une pollution des terres par ruissellement et une eutrophisation des cours d’eau.
Les poulets ayant l’habitude de picorer au sol, qui lui est pollué, quid dès lors de la teneur en métaux lourds dans leurs fientes ? « Ils sont nourris quasi exclusivement avec de la nourriture achetée, qui n’est pas polluée. Dès lors, on ne retrouve pas de contaminants problématiques dans leurs déjections. Les teneurs en métaux lourds sont bien en dessous des normes que l’OMS autorise pour une utilisation sur des sols agricoles », précise Dr Mununga Katebe.
Quant à l’eau utilisée dans le système bioponique, il s’agit de l’eau du robinet, laquelle n’est pas polluée.
La laitue, un légume à très haute valeur ajoutée
Les premiers essais de culture bioponique se sont concentrés sur la laitue. Ce légume, s’il est vendu à relativement petit prix dans les étals européens, atteint des prix faramineux à Lubumbashi. Il est considéré comme un végétal à très haute valeur ajoutée.
Dès lors, parvenir à la cultiver sans présence de métaux lourds dans les feuilles pourrait, outre nourrir les producteurs et leurs familles, leur garantir un revenu supplémentaire. « S’installer comme maraîcher biopinique de laitues si prisées peut être très rentable », précise le chercheur.
Adoption de la technique
Félicien Mununga Katebe voudrait que sa technique soit adoptée par les citoyens de Lubumbashi. C’est dans cette optique qu’il vise à la rendre low-tech. Hormis les plastiques utilisés au niveau des tables, qui se doivent d’être neufs et qu’il est aisé d’acheter sur les marchés locaux, le reste de l’installation est faite en matériaux de récupération. « On a drastiquement minimisé les coûts de fabrication des unités expérimentales comparativement à celles, high-tech, que l’on trouve en Europe. »
A noter que l’électricité, si elle facilite la vie, n’est pas nécessaire pour cultiver en bioponie. Si elle est présente, elle permet une aération continue de l’eau dans laquelle baignent les racines, en actionnant un bulleur. Mais une aération à la main, réalisée deux fois par jour, est également possible, bien que le rendement de légumes chute alors un peu.
Pour faciliter l’adoption de la technique, Félicien Mununga Katebe a aussi formé 80 personnes à celle-ci. « J’ai installé des unités de démonstration qui permettent aux familles d’apprivoiser la bioponie. Après la formation, elles ont reçu des unités expérimentales à mettre chez elles. De cette façon, les unités bioponiques sont visibles au quotidien, dans l’espoir que ça fasse des émules. On est au début de l’histoire », sourit le jeune chercheur.
Après sa thèse, qu’il vient de défendre en septembre 2024, il souhaite approfondir ses recherches pour, notamment, élargir la gamme de légumes cultivés. Mais aussi pour récupérer de façon adéquate le gaz émis lors du processus de compostage afin d’en tirer de l’énergie. Après quoi, la bioponie pourrait être utilisée en vue d’une culture vivrière pour les familles. Mais aussi d’en tirer des revenus, à petite et grande échelles.
« Par exemple, parmi les 80 personnes formées, l’une des mamans qui avait reçu l’unité expérimentale a demandé à pouvoir agrandir ses étables et élever davantage de poulets afin d’en faire une activité lucrative. Des maraîchers professionnels pourront aussi s’emparer de la technique, mais toujours dans l’idée de circuit court. Ce qui est produit sur place est utilisé sur place. »