77 % des agriculteurs francophones en détresse psychologique

4 décembre 2025
par Daily Science
Temps de lecture : 3 minutes

Produire de quoi nourrir la population est un métier essentiel, mais peu reconnu. Pire, il est source de mal-être. Le travail de Rosalie Vercruysse et Jeanne Warnant est édifiant. Plus de trois quarts des agriculteurs et agricultrices sont en détresse psychologique. Ce travail de fin d’études, réalisé sous la direction de Moïra Mikolajczak, professeure de psychologie à l’UCLouvain, témoigne d’une situation extrêmement préoccupante au sein du monde agricole.

Un outil inédit

L’étude s’est appuyée sur une démarche scientifique mixte : examen de la littérature scientifique et « grise » (enquêtes d’associations professionnelles et dans la presse spécialisée), entretiens exploratoires, puis enquête auprès de 133 agriculteurs et agricultrices, recrutés sur la base de leur vécu professionnel et non de leur niveau de détresse.

Pour interroger leur échantillon, les autrices de l’étude ont développé un outil inédit, appelé la Balance, qui mesure l’équilibre entre les facteurs de risque (pression économique, charge administrative, isolement…) et les facteurs de protection (soutien social, autonomie…). Cet outil permet d’évaluer dans quelle mesure un déséquilibre entre ces facteurs prédit statistiquement le burn-out, la dépression et/ou les pensées suicidaires.

Le suicide, une solution envisagée

Les analyses montrent que :

• 77 % des participants présentent une balance qui penche du côté des risques ;

• Ce déséquilibre est un facteur de détresse psychologique ;

• 53 % des agriculteurs francophones présentent des niveaux de dépression modérément sévères à sévères, 28 % sont à haut risque de burnout ou en burnout et 18 % des agriculteurs ont pensé au suicide au cours du mois écoulé ;

• Les facteurs qui pèsent le plus sont, dans la balance : les difficultés économiques, le sentiment de ne pas avoir de contrôle sur l’exploitation et l’anxiété ;

• Le pourcentage d’agriculteurs dont la balance est en déséquilibre est nettement supérieur à celui observé chez les travailleurs salariés, où environ 20 à 25 % présentent un déséquilibre comparable.

« Nous savions que les agriculteurs constituaient une population à risque, mais l’ampleur du déséquilibre et de la détresse observée est sans précédent », souligne la Pre Moïra Mikolajczak, spécialiste du burnout et promotrice du mémoire. « Ces données objectivent une réalité qui, jusqu’ici, n’était connue qu’à travers des témoignages. »

Des témoignages édifiants

De nombreuses personnes interrogées ont utilisé l’espace commentaire du questionnaire pour exprimer leurs difficultés. Leurs messages reflètent un quotidien souvent marqué par la pression, la charge administrative et un sentiment de découragement :

• « On passe la moitié de notre temps à remplir des papiers rédigés par des gens qui ne comprennent pas notre réalité » ;

• « Nous ne sommes que les pions d’un système. Notre outil de travail ne nous appartient plus » ;

• « On nourrit le monde mais peu le perçoivent. On travaille d’arrache-pied pour être très mal payés » ;

• « Je pense en effet que je serais mieux morte que vivante. Mais pas de suicide. J’espère juste que la vie me fera ce cadeau de mourir ‘jeune’. J’adore mon métier, mais […] se sentir dévalorisée est compliqué. Le plus dur est d’être le 1er maillon de la chaîne et être le moins rémunéré. »

Pour la Pre Mikolajczak, le nombre et l’intensité des témoignages montrent un besoin urgent d’écoute et de mesures de soutien. Des structures existent déjà, mais manquent d’un financement suffisant pour répondre à la demande.

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