Claudie Haigneré, lors de sa seconde mission spatiale, en 2001, à bord de l'ISS. © ESA/Cnes
Claudie Haigneré, lors de sa seconde mission spatiale, en 2001, à bord de l'ISS. © ESA/Cnes

Claudie Haigneré rêve d’un village lunaire

5 février 2019
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 5 min

« Sciences et technique doivent faire partie de notre culture, de notre façon de penser, d’organiser notre réflexion, d’être critique. Et culture pour moi, cela veut dire trouver un langage qui permette de comprendre l’autre et de se faire comprendre », explique Claudie Haigneré. Première (et unique) femme astronaute française, elle a reçu, lundi 4 février 2019, un doctorat honoris causa de l’UCLouvain. Cette distinction salue son rôle déterminant pour la promotion des sciences et des technologies à l’échelle européenne, notamment envers les plus jeunes ; et de l’inspiration qu’elle leur procure. Ambassadrice de l’ESA, l’Agence spatiale européenne, elle rêve aujourd’hui d’un village établi sur la Lune.

Dans les yeux d’une astronaute

Dans la station orbitale russe Mir en 1996, pour la mission Cassiopée. L’ISS (Station Spatiale Internationale) en 2001, pour la mission Andromède. Par deux fois, Claudie Haigneré s’est installée durant une dizaine de jours dans une station en orbite autour de la Terre, à 400 km d’altitude. Qu’est ce que l’on ressent quand on est là-haut et qu’est-ce que l’on voit ? L’astronaute se souvient:

 

Par leur séjour en microgravité, les astronautes témoignent de la formidable capacité d’adaptation de l’être humain. « L’humain est capable de vivre dans des environnements qui ne sont pas du tout habituels. Cela apporte une attitude positive : oui, on peut changer. Oui, on peut s’adapter. Oui, on peut avoir cet appétit de vivre des choses nouvelles. Et pas obligatoirement avoir un regard nostalgique sur le passé, en maugréant « c’était mieux avant ». Avant c’était avant, c’était différent. Aujourd’hui, on est dans d’autres conditions. On a d’autres outils, d’autres fenêtres ouvertes. Il faut faire face au présent et pouvoir préparer l’avenir. Je crois que tous les astronautes racontent ça quand ils reviennent de mission. »

Repousser les limites de l’exploration et revenir sur Terre

Contrairement à certains utopistes qui voient bien notre espèce coloniser Mars prochainement, pour Claudie Haigneré, il est clair qu’aujourd’hui, l’Homme n’est pas en capacité de quitter la Terre, de la fuir et de ne pas y revenir. « Ce que propose l’exploration spatiale, c’est de poursuivre l’expansion, d’apprendre à vivre et à travailler dans l’espace sur des durées plus longues. Mais bien évidemment, en revenant sur Terre ».

« C’est ainsi qu’à bord de l’ISS, on gère l’adaptation de l’humain aux conditions spatiales sans aller vers trop de désadaptation physiologique afin de pouvoir revenir en conditions terrestres. » D’où les 2,5 heures quotidiennes d’exercices physiques à bord pour maintenir le muscle et la trophicité de l’os. D’où également une nutrition très contrôlée garantissant l’apport journalier en vitamines, etc.

De nombreux problèmes à résoudre avant d’installer des humains sur la Lune

« Durant la première moitié du XXIe siècle, on devrait avoir la possibilité d’aller sur la Lune, d’y vivre, d’y travailler et de préparer la phase suivante: la phase martienne. Toutefois, il y a encore pas mal de problèmes physiologiques, psychologiques, de radiations, de durée du voyage, qui font que cela ne sera peut-être pas aussi rapide que certains le prédisent aujourd’hui. »

Une fois en dehors de la protectrice atmosphère terrestre, les astronautes en route vers la Lune ou Mars subiront de plein fouet les attaques d’un ennemi mortel et invisible : les radiations ionisantes. A l’heure actuelle, la recherche n’a accouché d’aucune solution probante pour retirer cette épine majeure du pied des futurs explorateurs de l’espace. Leur challenge physique sera d’apprendre à travailler, non plus en microgravité, mais en gravité réduite. En effet, sur la Lune, la gravité est de 1,62 m/s2 soit un sixième de celle ayant cours sur Terre. Et sur Mars ? Sa valeur (3,711 m/s2) est environ un tiers de la gravité terrestre (9,807 m/s2).

Permettre à l’Homme de continuer à explorer

Par ailleurs, il est impératif de développer tous les auxiliaires nécessaires pour permettre aux astronautes d’être autonomes dans la prise de décision lors de situations complexes, alors qu’ils seront trop loin des centres de contrôle pour une réponse rapide. N’oublions pas leurs besoins fondamentaux: se nourrir et boire. Pour ce faire, il va falloir inventer de nouvelles formes d’agriculture et des techniques innovantes de purification de l’eau dans un environnement qui n’est pas celui de la gravité. « C’est un champ de recherche extraordinaire à explorer pour continuer à aller plus loin. »

Et de préciser, « On n’est pas là pour préparer l’Homme à quitter sa planète et à devenir une espèce différente. On est là pour permettre à l’Homme de continuer à explorer, à ouvrir des fenêtres, à passer des frontières, à repousser les limites, à découvrir de nouveaux horizons aussi. Et ce pour apprendre à mieux gérer notre vie sur Terre. »

L’Europe sur la Lune dès 2025 ?

Début janvier, ArianeGroup annonçait avoir été chargée par l’ESA d’étudier la possibilité d’une mission lunaire en 2025. Pas une mission habitée, mais un transport de matériel à déposer sur notre satellite naturel. Cette mission lunaire serait tout à fait dans les cordes d’Ariane 64, le futur lanceur européen pour grosses charges qui devrait pousser son premier cri en 2020.

Voilà qui réjouit Claudie Haigneré, pour qui il faut, particulièrement en cette année anniversaire des 50 ans du premier pas sur la Lune, avoir des visions et des ambitions spatiales:

 

Ambassadrice de l’ESA, elle rêve de l’établissement d’un village lunaire, tel que proposé par Jan Wörner, directeur général de l’ESA, en octobre 2015 au 66e Congrès international d’astronautique. « Cela nous amène à une réflexion intéressante de notre humanité : Où va-t-on ? Comment va-t-on s’y prendre ? Comment réguler ? L’idée de « faire village » est intéressante car elle nous oblige à nous poser des questions qui sont des questions de société et de civilisation : Est-ce qu’on veut y aller tous, chacun, individuellement, en reconstituant nos frontières, nos souverainetés nationales, nos drapeaux, notre système de support vie ou de stockage d’énergie ? Ou n’est-ce pas le bon moment de penser ce projet ensemble ? De mettre en place une coopération internationale pacifique ? »

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