En cette période pandémique aux mesures liberticides, dénoncer son voisin, qui n’en peut plus de sa tignasse sans forme, et qui reçoit un coiffeur accompagné de ses ciseaux en catimini dans sa salle de bain, est-ce jouer au héros, au lanceur d’alerte ? Pas du tout. Amélie Lachapelle, chercheuse au CRIDS (Centre de Recherche Information, Droit et Société) de l’UNamur, étudie les nuances dans l’acte de dénonciation et l’évolution de son cadre juridique. Sa thèse de doctorat vient d’être publiée.
Thématique relativement taboue, peu étudiée par la doctrine, la dénonciation n’est pourtant pas un acte nouveau. Au cours de l’Histoire, elle s’est toujours pratiquée. Notamment en Grèce antique. Dans cette société sans police ni ministère public, le tort fait à une personne devient l’affaire de tous. Mais cette dénonciation, et davantage encore si elle est encouragée et rémunérée, se mue souvent en délation.
« La dénonciation n’est pas forcément quelque chose de mauvais. Tout dépend de l’enjeu. Il n’est pas évident de déterminer les critères qui vont, objectivement, faire qu’une dénonciation méritera d’être socialement protégée ou pas. »
Dénonciation n’est pas synonyme de délation
« A la base, la dénonciation englobe l’idée d’annoncer, de communiquer quelque chose. Mais en langue française, on a tendance à assimiler dénonciation à délation laquelle a une connotation négative.»
« La délation, c’est une dénonciation motivée par des sentiments vils, peu avouables, d’esprit de vengeance, de haine, d’appât du gain. Le délateur n’est intéressé que par lui-même. Sa motivation est égoïste. »
C’est ainsi que l’informateur et l’indicateur, deux figures utiles au système pénal et qui sont protégées (dans le cadre du droit fiscal, pénal, des douanes et accises), sont une forme de délation dans le sens où celle-ci est motivée et intéressée.
« Par contre, dans le cas où la délation est motivée, méchante ou intéressée et qui, en plus, est fausse, elle est méprisable, et non acceptée juridiquement. Elle ne sera jamais protégée juridiquement et sera même sanctionnée », poursuit la juriste.
Du dénonciateur au lanceur d’alerte
Quant à la dénonciation, elle n’est pas purement motivée par des intérêts personnels, mais cherche à défendre des intérêts publics.
C’est le cas d’une personne qui assiste à un cambriolage ou qui a des informations sur une enquête en cours et qui décide de parler. « Couramment, on parle de ‘témoin’, mais donner des infos sur une personne physique identifiée, c’est recourir à une forme de dénonciation. La personne n’agit pas uniquement pour servir ses intérêts, mais cherche aussi à défendre les intérêts de l’État afin d’assurer le respect de la loi. »
Revenons à l’exemple du citoyen qui dénonce son voisin. Il s’agit d’une dérive de la dénonciation. « La personne agit en vue d’assurer les mesures prises par l’État. Mais au fond, on sait très bien qu’elle poursuit un autre but, que sa motivation est peu avouable, et qu’elle cherche principalement à servir ses intérêts personnels. »
Le critère qui permet de distinguer le dénonciateur du lanceur d’alerte, c’est l’intérêt public. En effet, le lanceur d’alerte ne cherche pas à défendre les intérêts de l’État, mais l’intérêt général, le bien commun. Quitte, pour cela, à remettre en cause les décisions prises ou la loi telle qu’adoptée par l’État.
« En cela, la figure du lanceur d’alerte est difficile à appréhender juridiquement. Car le droit, au sens strict, est vu comme une émanation de l’État. Celui-ci n’a aucun intérêt à protéger une figure qui pourrait le remettre en cause », explique la docteure Lachapelle.
Motivation : les deux directions prises par l’UE
Pour dénoncer des faits dont il a connaissance au sein de l’entreprise dans laquelle il travaille, un lanceur d’alerte les fait d’abord remontrer vers les autorités compétentes (police, justice, régulateur). Seulement, ensuite, il dénonce les faits publiquement, en s’adressant à un parlementaire ou à un journaliste.
La motivation est un critère très délicat en droit. Doit-on le faire peser dans la balance ? « Dans la directive sur les lanceurs d’alerte, qui vient d’être adoptée après de longues discussions, et qui devra être transposée en droit belge d’ici fin 2021, il a été décidé d’exclure le critère de la motivation. Peu importe que la personne cherche en même temps à se venger, si les faits dénoncés sont des violations aux yeux de l’union, elle a droit à une protection. »
Par contre, dans la législation française, la notion de lanceur d’alerte est liée à l’absence d’intérêt. De même, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est très attachée au critère de désintéressement. « Pour elle, un acte motivé par un grief personnel, par l’appât du gain, par la volonté de se venger, ne mérite pas une protection. Particulièrement sous l’angle du droit à la liberté d’expression. »
« Avec le développement des nouvelles technologies et le fait que le débat devienne très vite public, il peut être dangereux de mettre l’accent sur la motivation de la personne qui dénonce plutôt que sur l’enjeu des faits révélés. C’est d’abord l’intérêt public des faits dénoncés qui devraient peser dans la balance et faire l’objet d’un débat démocratique », conclut la Dre Lachapelle.