Bloquer les hémicanaux pour enrayer les arythmies cardiaques

5 mars 2024
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 4 min

Rien qu’en Belgique, quelque 10.000 décès résultent de problèmes d’arythmies cardiaques. Pour lutter contre ce fléau, une piste de recherche se concentre sur les hémicanaux. Mieux comprendre leur fonctionnement, ou plutôt leur dysfonctionnement, pourrait limiter ces pertes de vie.

C’est exactement dans ce contexte que se situent les travaux du Dr Maarten De Smet, un cardiologue formé à l’Université de Gand et à l’université de Louvain (KULeuven). Des travaux qui viennent tout juste d’être récompensés par le prix Bernheim.

« Parmi les maladies cardiovasculaires les plus répandues, celles liées aux arythmies sont, en effet, préoccupantes », pointe le médecin. « On sait que l’activité électrique du cœur est régulée par des canaux ioniques. Ces canaux sont de petits pores composés de certaines des protéines qui constituent la membrane des cellules et qui laissent passer ou non des ions. De nombreuses recherches relatives à ces canaux ont déjà eu lieu et ont débouché sur l’élaboration de traitements spécifiques. Dans le cadre de mes recherches, j’ai exploré un certain type de canaux ioniques moins bien connus: les hémicanaux. »

Remise du prix Bernheim 2023 au Dr Maarten De Smet © Christian Du Brulle

Communication intercellulaire

Ces hémicanaux présentent la particularité de fournir un accès entre l’intérieur des cellules et le milieu extérieur. Il s’agit d’une sorte de canaux de communication, entre cellules, qui mettent directement en relation deux cellules voisines.

« Nous avons pu montrer que le fonctionnement inhabituel des hémicanaux pouvait influencer l’activité électrique du cœur, et donc générer des problèmes d’arythmies. Ceci non seulement sur des animaux de laboratoire, mais également chez l’être humain », détaille le spécialiste. « Nos recherches ont également pu montrer qu’en utilisant une molécule spécifique, il était possible de bloquer l’activité de ces hémicanaux.

« Ces études in vitro ont montré que la molécule GAP19 était capable de prévenir les arythmies cardiaques en agissant sur les hémicanaux », précise de son côté le Fonds pour la chirurgie cardiaque.

Tachycardie ventriculaire

Enfin, les recherches du Dr Maarten De Smet ont aussi pu mettre en évidence qu’une trop grande activité des hémicanaux se remarquait chez les personnes avec un cœur défaillant.

« Je me suis particulièrement intéressé aux troubles du rythme dans les ventricules », précise encore le Dr Maarten De Smet. « Notamment, parce qu’un problème se produisant à leur niveau pouvait très rapidement entraîner une mort subite du patient. »

« Et quand je dis patient, ce sont bien souvent des patients qui s’ignorent. En réalité, il s’agit de personnes qui ne présentaient pas de problème cardiaque. Chez celles-ci, il peut se passer moins d’une heure entre le moment où les premiers symptômes se présentent et le décès … »

Le médecin a pu tester et identifier divers composés susceptibles de bloquer les hémicanaux. « Mais uniquement dans un environnement de laboratoire très contrôlé », dit-il. Il a travaillé sur des animaux de laboratoire et des cellules cardiaques humaines prélevées dans le cadre d’interventions chirurgicales.

Perspectives d’avenir

« Nous ne savons pas comment ces composés potentiellement thérapeutiques interagissent avec l’ensemble d’un organisme humain. Ni dans quelles concentrations ils pourraient être réellement utiles ou devenir franchement toxiques. Cela reste à étudier. »

« Il faudra aussi déterminer dans quelle mesure ces composés influencent d’autres hémicanaux, présents ailleurs que dans les cellules musculaires cardiaques. Par exemple, dans les vaisseaux sanguins, ou le système nerveux. Clairement, des recherches complémentaires s’imposent. Y compris sur des dérivés de ces composés, afin de déterminer s’ils ne seraient pas plus intéressants. »

« Si notre intuition est bonne, si effectivement le blocage des hémicanaux dans les cellules du muscle cardiaque n’entraîne pas d’effets physiologiques ailleurs dans l’organisme, nous tenons alors une piste thérapeutique innovante qui ne demande qu’à être approfondie. »

« Mais cela nécessitera encore de nombreuses autres recherches. La machinerie cellulaire est quelque chose de particulièrement complexe à cerner dans le détail, et dans son ensemble », conclut-il.

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