Au cœur de la réalité vécue par les dominés

5 juin 2015
par Raphaël Duboisdenghien
Temps de lecture : 4 minutes
Debout les dominés - Jacques-Philippe Leyens.  Ed. De Boeck, Coll. Parlons psy. 21 €
Debout les dominés – Jacques-Philippe Leyens. Ed. De Boeck, Coll. Parlons psy. 21 €

C’est le vécu des défavorisés sociaux qui préoccupe Jacques-Philippe Leyens dans «Debout les dominés» paru chez De Boeck dans la collection Parlons Psy.
 
«Mon propos n’est pas du tout de renverser les rôles», précise le professeur émérite à l’Université Catholique de Louvain (UCL).
 
«La hiérarchie des groupes n’a de sens que s’il y a un consensus aussi bien au niveau des dominants que des dominés. Ce consensus ne dicte cependant pas les réactions des uns et des autres.»

 

Le spécialiste en psychologie sociale s’appuie sur de nombreuses recherches pour démonter les mécanismes qui régissent les relations humaines. Montre que dominés et dominants partagent la même humanité. Même s’ils s’en approchent par des voies qui leur sont propres.

 

Des femmes plus machistes que des hommes
 
Les théories de psychologie sociale s’accordent sur une inégalité fondamentale entre groupes. Forcément, les dominants sont contents de leur sort sauf qu’ils sont toujours dominés par un autre groupe. Quant aux dominés, ils hésitent sur la conduite la plus efficace à adopter pour souffrir le moins possible des discriminations.
 
Aux Pays-Bas, des chercheuses observent que des dominés sont tellement habitués à subir des discriminations contre leurs groupes qu’ils ne se rendent pas nécessairement compte de nouvelles possibilités. Quand ils réussissent, ils disent que c’est parce qu’ils le méritent. Et que le système est juste.

 

«C’est la situation dans laquelle se sont trouvées des femmes comme Margaret Thatcher, Golda Meir et Indira Gandhi», relève le docteur en psychologie appliquée.
 
«Toutes les trois ont eu la réputation d’avoir eu une ambition démesurée et d’être restées sans pitié pour les personnes qui ne répondaient pas à leurs attentes. Les femmes qui réussissent comme les hommes s’attribuent davantage de traits masculins que ne le font leurs collègues masculins. Plus encore, elles préfèrent l’intelligence de leurs doctorants masculins.»

 

L’homosexualité se banalise de plus en plus

 

La perception d’un groupe avec un bas statut ou une mauvaise réputation peut changer en moins d’une décennie. Alors qu’en 1997, 75% des Étatsuniens considéraient que l’homosexualité était mauvaise, ce pourcentage descend à 57% en 2004. En Europe, l’interdiction de la discrimination basée sur la sexualité est votée en 2003. Et elle est acceptée dans l’armée étatsunienne en 2010. En Belgique, en 2006, 81% des filles de 13 à 21 ans sont d’accord d’avoir une lesbienne ou un gay comme meilleur ami. Par contre, ce pourcentage n’est que de 51,57% chez les garçons.

 

«Les personnes opposées à l’homosexualité mettent en cause des valeurs et des croyances essentialistes», explique Jacques-Philippe Leyens. «Les gens tiennent énormément à leurs valeurs. Il suffit de constater le nombre d’immigrants qui sont mal vus à cause de la différence de valeurs.»

 

«L’essence, qui fait ce qu’on est et ce qu’on n’est pas, est encore plus puissante que les valeurs», souligne le chercheur. «Mais, paradoxalement, elle peut avoir des effets bénéfiques. Dans les années 1970, l’homosexualité était une maladie. Maintenant, c’est quelque chose avec quoi on est né. Une essence en quelque sorte. Et les enquêtes d’opinion montrent que plus on croit que l’homosexualité remonte à la naissance, plus on est tolérant.»

 

Dominés et dominants se réconcilient
 
Pour diminuer l’inégalité entre groupes, des dominés passent à l’action collective revendicatrice pour influer sur les structures de la société. Aux États-Unis, les manifestations pour les droits civiques aboutissent en 1964 au Civil Rights qui interdit tout acte de discrimination.
 
La réconciliation entre groupes ne se fait pas du jour au lendemain…
 
«Par réconciliation, j’entends l’acceptation mutuelle de l’humanité des uns et des autres. Un des exemples les plus beaux et les plus connus de réconciliation est la Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud. Cette Commission invite les victimes à raconter ce qu’elles ont souffert de manière à retrouver leur dignité. Quant aux coupables, entre guillemets, ils sont priés de venir avouer leurs exactions et demander le pardon des victimes et de leurs familles. Une telle commission fonctionne maintenant dans plus de 25 pays. Il me semble que le pardon est autrement plus important pour les dominés que pour les dominants.»
 

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