Réinventer la recherche sociale pour réussir un projet collectif

5 juillet 2018
par Raphaël Duboisdenghien
Temps de lecture : 4 minutes

Réaliser des enquêtes. Mettre les résultats en discussion. Se corriger mutuellement. Ce défi est réussi par les chercheurs de «L’appel des entités fragiles», aux Presses Universitaires de Liège. Le livre s’appuie sur la proposition formulée par le sociologue français, philosophe des sciences, Bruno Latour pour revivifier la recherche sociale dans «L’enquête sur les modes d’existence»  parue en 2012.

 

«L’appel des entités fragiles», Presses universitaires de Liège, 15 euros.
«L’appel des entités fragiles», Presses universitaires de Liège, 15 euros.

«Voici un livre qui aide à respirer», souligne Antoine Hennion, directeur de recherche à Paris, au Centre de Sociologie de l’Innovation. «Non qu’il donne forcément de l’espoir face au monde qui vient, mais il le permet. Il est possible et excitant de parler de ce qui advient, de ce qui se passe et des futurs à venir. Sur un mode ouvert, incertain, mais aussi affirmatif en ce sens qu’il fait des propositions. Qu’il s’engage. Et cela, sans rien perdre de la rigueur scientifique. Ou de l’exigence d’un engagement.»

Valoriser ceux qu’une enquête aurait piétinés

Le livre relate les enquêtes d’Amandine Amat (Université de Strasbourg), Ariane d’Hoop (Université libre de Bruxelles), Jérémy Grosman (UNamur), François Thoreau (postdoctorant au Centre de recherche multidisciplinaire Spiral de l’Université de Liège, Giulietta Laki (ULB), Pauline Lefèvre (chargée de recherche Fonds de la Recherche Scientifique-FNRS à l’ULB) et Elsa Maury (ULiège).

Les situations analysées… Un viticulteur aux prises avec le dérèglement climatique. Des architectes défendant la qualité de leurs projets. L’emménagement d’un centre psychiatrique. La surveillance d’un périmètre de sécurité par un algorithme. La lutte sociale des mineurs au Royaume-Uni. Une procédure basée sur des images au tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie.

«Les textes ont pour origine une intuition partagée», expliquent les co-enquêteurs. «Nous sommes plusieurs à avoir senti que l’ouvrage de Bruno Latour allait compter dans nos recherches et la façon dont nous pouvions les mener. Pour nous, l’enjeu est lié à notre capacité à faire de la place à des êtres qu’une enquête trop rapide concourrait à piétiner, en raison de leurs fragilités, leurs devenirs précaires. Nous sommes partis de l’intuition qu’une expérience de lecture en prise avec des situations empiriques déplierait de nouvelles possibilités de penser.»

Retrouver la convivialité

À Bruxelles, Ariane d’Hoop suit les perturbations causées par le réaménagement d’une habitation en centre de jour psychiatrique pour ados. Cette reconversion participe à la désinstitutionnalisation de la psychiatrie.

«Un enjeu majeur de cette épreuve consiste à retrouver ce que les soignants appellent de la convivialité ou plutôt les formes matérielles par lesquelles cette convivialité pourra se décliner et correspondre à leur pratique de soins», précise la doctorante, aspirante Fonds de la Recherche Scientifique-FNRS, attachée au Centre de recherche architecture et sciences humaines Sasha, Faculté La Cambre Horta de l’ULB.

«Ce lieu ne doit en aucun cas ressembler à un hôpital. S’il y a thérapie, elle n’est pas rendue directement perceptible. Certains détails importent de manière récurrente. Par exemple, la combinaison de plusieurs pièces et leurs recoins, plus favorables à la rencontre que de grands plateaux vides. Ou encore l’implantation des ateliers en périphérie des pièces de vie. Il s’agit d’entrer dans la situation du déménagement et des problèmes d’espace qui s’y sont posés.»

Parier sur la décoration

En plus de l’agencement spatial, la convivialité s’appuie sur des ressorts de l’attachement. Se vit à travers le mobilier. Des murs décorés d’œuvres de jeunes. Une fresque murale. Des albums de photos. Des posters annonçant un projet en cours. Un tableau d’expression pour échanger des messages ou des dessins entre ados.

«Un problème se posa dans un décalage entre la volonté, pour la directrice médicale et les architectes, de réaliser un bel assortiment conforme et celle, parmi les soignants, d’investir les lieux par l’exposition des traces de ce qu’on fait.»

«Six mois après l’entrée dans les lieux, les jeunes présents n’ayant pas connu l’ancienne maison soulevèrent que la décoration participait à les accrocher, à les motiver à venir les premiers temps, parce qu’elle donnait une autre identité au lieu que celui d’un hôpital.»

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