L'eau manque cruellement dans le nord du Sénégal, l'une des régions les plus arides du pays © Jelena Luyts

Le dérèglement climatique vu d’Afrique subsaharienne

5 juillet 2023
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 6 minutes

Série: Chercheur et aventurier (2/5)

De l’Afrique, elle n’en avait vu que des photos. Ce fut donc une découverte incroyable qui attendait Jelena Luyts lorsqu’elle a posé le pied au Sénégal. Dans un village aux portes du Sahel, la doctorante en géographie de l’UNamur cherche à comprendre pourquoi, comment et selon quelle chronologie les habitants de cette région aride s’adaptent aux changements climatiques qui impactent déjà durement leur environnement direct. Notamment via l’augmentation des températures moyennes et la forte variabilité des pluies.

Dans cette région d’Afrique de l’Ouest, les personnes sont dépendantes de la terre pour l’agriculture et l’élevage, leur principale activité économique. « Les changements climatiques ont donc un impact direct sur leurs revenus et l’entièreté de leur quotidien. C’est sans commune mesure avec ce que l’on vit en Europe où, la plupart des gens, étant employés dans le secteur tertiaire, ressentent moins les impacts du dérèglement climatique dans leur vie quotidienne. »

Le village du nord du Sénégal, sujet de cette étude doctorale © Jelena Luyts

L’accord du chef du village

La première étape de la recherche était de définir une zone géographique où mener l’étude. Le choix d’un village au nord du Sénégal, non loin de la ville de Saint-Louis, s’est rapidement imposé de par sa facilité d’accès et surtout sa situation géographique, qui en fait l’une des régions les plus arides du Sénégal. Et par là, un excellent objet d’étude sur l’adaptation des villageois aux changements climatiques.

Une fois sur place, les premiers contacts ont été pris avec le chef du village. « C’est un passage obligatoire pour obtenir l’autorisation de contacter les villageois. Il est aussi une ressource cruciale de par sa vision globale du village. Les échanges avec lui ont toujours été très riches. Notamment pour connaître ce qui se fait dans le village, comment ça se passe, la démographie, les activités principales des habitants. »

Ensuite, la chercheuse a pu entrer en contact avec les ménages et réaliser des entretiens. « L’approche est qualitative. Je cherche à comprendre s’il existe des logiques similaires entre les individus ou les ménages. Une des idées à investiguer était de voir comment s’échelonne la chronologie de l’adaptation aux changements climatiques. Pour ce faire, j’arrivais avec une grande ligne du temps que je complétais durant l’entretien. »

Jelena Luyts avec, devant elle, la ligne du temps à compléter durant l’entretien © Jelena Luyts

Le rôle de chacun

Dans chaque ménage, le premier contact était fait avec un homme, souvent chef de ménage. « Mon objectif était d’avoir la vision la plus globale possible du ménage, j’ai donc à chaque fois demandé à pouvoir interroger l’une de ses femmes – il s’agit d’une société polygame, NDLR – ou l’un de ses enfants. Et, au besoin, à pouvoir revenir pour mener ces entretiens. J’ai essayé d’avoir au minimum deux personnes interrogées par ménage. En effet, je travaille sur les perceptions, et celles-ci sont grandement individuelles. »

Les premiers résultats révèlent que les changements environnementaux perçus par les hommes et les femmes sont globalement similaires. C’est au niveau des adaptations à ceux-ci que se marquent les différences, et ce principalement en fonction des rôles occupés au sein du ménage.

« L’activité de l’homme qui, en tant que chef de ménage doit subvenir aux besoins de sa famille, est souvent tournée vers l’agriculture, la pêche, l’élevage. Il va mettre en place des adaptations spécifiques à ces domaines. Deux grandes tendances se dessinent. Il y a, tout d’abord, les adaptations faciles à mettre en place, celles qui ne nécessitent pas beaucoup de moyens : pour éviter les grandes chaleurs, les hommes commencent plus tôt la journée de travail voire travaillent de nuit. Ensuite, il y a des adaptations plus coûteuses, comme l’installation de systèmes d’irrigation. Mais cela n’est pas accessible à tous. »

Mais cela n’est pas toujours suffisant. En raison des changements environnementaux et climatiques, notamment caractérisés par un manque chronique d’eau, les hommes sont contraints de migrer de façon saisonnière au sein du pays pour travailler, et ainsi aller chercher des revenus.

Système d’irrigation installé dans un champ dans la région aride du nord du Sénégal © Jelena Luyts

« Les femmes, quant à elles, se chargent plutôt des aspects domestiques : enfants, intendance, repas. Elles vont dès lors davantage œuvrer à essayer de garder une même qualité de vie à la maison et au sein du ménage. Les revenus fournis par les hommes étant davantage incertains avec les effets du changement climatique, j’ai constaté que de nombreuses femmes avaient commencé à travailler. Elles prennent des petits boulots proches de la maison pour combler les manques financiers du ménage. La place et le rôle des femmes semblent être renégociés avec le changement climatique », explique la jeune chercheuse. Son travail vient d’être récompensé par le 2e prix de la recherche 2022 « Genre et environnement » de l’ARES.

«  Selon mes premiers résultats, les parcours d’adaptation semblent différents entre hommes et femmes, et entre les générations, mais ils sont complémentaires au sein du ménage. »

Restitution des résultats

« Certaines des personnes que j’ai interrogées m’ont remerciée d’être venue, car elles se sont senties entendues et écoutées. Mais d’autres se sont montrées plus réticentes, et m’ont questionnée sur la raison de ma présence, sur la démarche de ma recherche. Selon une collègue, il y a 10-15 ans, il y avait beaucoup moins de réticence. C’est sans doute une conséquence de l’accroissement du nombre de recherches menées sur place, sans que les Sénégalais voient des retours de leur implication dans celles-ci », explique la chercheuse qui réalise sa thèse sous la houlette de Pre Sabine Henry et de Pre Florence De Longueville.

En tout, quelque 65 hommes et femmes, représentant une vingtaine de ménages, ont accepté de répondre à ses questions.

« Je suis en réflexion sur la potentielle restitution de mes futurs résultats. A la fin de ma thèse, en 2024, il se pourrait que je retourne au Sénégal pour partager les résultats de mon travail avec celles et ceux qui m’ont donné leur temps et leurs informations. Cela permettrait de sortir de la démarche « extractiviste » qui a cours en recherche et qui consiste à aller chercher ses données sur place et de ne plus y retourner ensuite », conclut Jelena Luyts.

Transformation du poisson © Jelena Luyts
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