Le golfe du Mexique, au centre des intérêts états-uniens © KBR

La bataille de l’appellation « golfe du Mexique » vue depuis Bruxelles

5 novembre 2025
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 4 minutes

En janvier 2025, Donald Trump, fraîchement réélu à la présidence des États-Unis, crée la surprise en annonçant un décret pour rebaptiser le « golfe du Mexique » en « golfe d’Amérique ». Une décision à la fois symbolique et hautement politique. Objectif affiché : renforcer la domination états-unienne sur cette région stratégique et « restaurer la grandeur de l’Amérique » – ou plutôt, s’approprier le nom même d’Amérique, au détriment des autres pays du continent.

La réponse mexicaine ne se fait pas attendre. Claudia Sheinbaum, présidente du Mexique, réplique avec humour (et finesse) en proposant de rebaptiser les États-Unis… « Amérique mexicaine » ! Pour appuyer sa déclaration, elle brandit une carte du XVIIe siècle, où toute l’Amérique du Nord est désignée sous l’étiquette « America Mexicana ». Une petite leçon d’histoire géographique à l’intention de la Maison Blanche.

Cartes anciennes, enjeux modernes

Derrière cette joute verbale se cache un enjeu beaucoup plus profond : le pouvoir des cartes. Loin d’être de simples objets scientifiques ou décoratifs, les cartes ont toujours été des outils de pouvoir, de propagande et de légitimation politique. L’histoire du nom du golfe en est une nouvelle illustration.

Dans une enquête passionnante menée à partir des collections de la KBR (Bibliothèque royale de Belgique), plus de 200 cartes datant du XVIe au XIXe siècle ont été passées au crible par le Dr Colin Dupont. Objectif de l’historien : comprendre comment le golfe a été nommé (ou non) au fil des siècles, et ce que ces appellations révèlent des luttes d’influence internationales. Ses travaux ont débouché sur une storymap, une publication en ligne largement documentée et illustrée.

De l’« el Mar Océano » au golfe du Mexique

Au début du XVIe siècle, on ne trouve pas de trace de l’appellation « golfe du Mexique” sur les cartes européennes. Pour les Espagnols, tout est encore « el Mar Océano », une vaste étendue d’eau englobant l’Atlantique, sans distinctions précises. Ce n’est que progressivement, avec l’exploration puis la colonisation, que la région commence à être identifiée comme un espace stratégique spécifique.

C’est à partir des ambitions économiques – notamment autour des routes commerciales, des ports naturels et des ressources marines – que le golfe gagne en importance sur les cartes. Chaque puissance coloniale cherche à y apposer son nom, sa présence, sa légitimité. La toponymie devient une manière de planter un drapeau.

La carte brandie par Sheinbaum : une carte flamande

Le document cité par la présidente mexicaine n’est pas anodin. Il s’agit d’une mappemonde de 1594 de Petrus Plancius, cartographe flamand du XVIe siècle, rééditée en couleur en 1607 par Josua van den Ende et Pieter van den Keere. Une carte magnifique sur laquelle l’Amérique du Nord est appelée « America Mexicana » – une référence directe à la vice-royauté espagnole de la Nouvelle-Espagne, fondée en 1535. À cette époque, le « Mexique » ne désigne pas seulement le territoire actuel du pays, mais bien une entité politique majeure couvrant une grande partie du continent nord-américain.

Face à elle, au sud, « America Peruana » marque la vice-royauté du Pérou, autre pôle colonial espagnol. On voit aussi « Nova Francia » (qui deviendra le Québec) et « Brasili », sous domination portugaise. Ces appellations ne sont pas neutres : elles illustrent le regard des puissances européennes sur le Nouveau Monde, découpé selon leurs intérêts.

Au fil du temps, l’histoire du nom du golfe du Mexique n’est pas qu’un simple détail toponymique. Elle incarne cinq siècles de luttes d’influence, de colonisation, d’appropriation culturelle et économique. Elle reflète aussi l’évolution du regard européen sur l’Amérique et ses ressources.

Une colonie belge éphémère dans le golfe… du Honduras!

La longue storymap de la KBR sur le golfe du Mexique et les cartes anciennes comporte un long chapitre dédié aux dominations coloniales dans la région. Sur une de ces cartes, on y (re)découvrira notamment… une tentative de mainmise belge sur une portion de territoire situé au fond du golfe du Honduras! Le territoire y est mentionné comme « C. belge ».

« En 1841, une Compagnie belge de colonisation est créée avec le soutien de Léopold Ier et de plusieurs investisseurs », rappelle le Dr Dupont. « La Compagnie acquiert une concession dans cette région de l’Amérique centrale. Un premier convoi de colons quitte la Belgique en 1843, mais la colonie périclite très rapidement et toute l’entreprise tourne au fiasco dans les années qui suivent. En 1855, la concession est annulée par le gouvernement guatémaltèque, marquant la fin de la tentative colonisatrice belge en Amérique.»

Clairement, les cartes géographiques racontent des histoires. Les recherches de Colin Dupont, dans les documents de la Bibliothèque royale, en apportent ici un bel éclairage. Et une intéressante mise en perspective à l’heure où les tensions géopolitiques ressurgissent jusque dans les noms des mers et des golfes.

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