Réduire la fécondité pour favoriser la croissance économique

6 janvier 2022
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min
"Démographie et émergence économique de l’Afrique subsaharienne", par John F. May et Jean-Pierre Guengant. Collection L’Académie en poche. VP 7 euros, VN 3,99 euros
« Démographie et émergence économique de l’Afrique subsaharienne », par John F. May et Jean-Pierre Guengant. Collection L’Académie en poche. VP 7 euros, VN 3,99 euros

Au sud du Sahara, la majorité des pays sont à un tournant critique de leur développement. Spécialistes des politiques de population, John F. May et Jean-Pierre Guengant se penchent sur 48 pays dans «Démographie et émergence économique de l’Afrique subsaharienne». De la collection L’Académie en poche.

«Une synthèse qui colle à l’actualité», juge Hervé Hasquin, secrétaire perpétuel honoraire de l’Académie royale de Belgique. «Sans fioriture. Bien documentée. Scientifiquement irréprochable. Et donc sans appel et qui peut paraître cynique dans son analyse et ses conclusions.»

Une population multipliée par 11

Selon John F. May, membre associé de la Classe technologie et société de l’Académie royale de Belgique, professeur de recherche à la George Mason University dans la banlieue de Washington, et Jean-Pierre Guengant, directeur de recherche émérite à l’Institut de recherche pour le développement rattaché à l’Université Paris-Sorbonne, «les prochaines décennies détermineront si les pays de la région pourront ou non, comme l’ont fait de nombreux autres pays moins développés, ou en développement, accélérer leur transition démographique. Profiter d’un premier dividende démographique et devenir des économies émergentes.»

Entre 1913 et 2020, la population de l’Afrique subsaharienne (ASS) a été multipliée par 11. Contre moins de 2 en Europe, 5 en Asie, 8 en Amérique latine. Cette croissance devrait se poursuivre au XXIe siècle en ASS. Contrairement aux prévisions pour les autres régions du monde.

«La croissance rapide de la population de l’ASS depuis les années 1960 a eu des effets négatifs sur la croissance moyenne du produit intérieur brut (PIB) par habitant de la région», relèvent les démographes. «L’augmentation a été seulement de 48%. Et de loin la plus faible de toutes les autres régions en développement.»

«Les données indiquent également que, contrairement à ce que l’on croit généralement, les pays les plus prospères sur le plan économique sont ceux qui ont une population moins importante. Et les taux de fécondité les plus faibles.»

Haut taux de mortalité des moins de 5 ans

En moyenne, les pays de l’ASS ont augmenté leur espérance de vie d’environ 20 ans depuis les années 1960.

Les démographes constatent que «ces gains considérables sont largement le résultat de réductions importantes des taux de mortalité infantile et juvénile». Mais, «le taux de mortalité des moins de 5 ans est toujours estimé à 78 pour 1.000 en 2015-2020». Nettement supérieur au 31 et 19 pour 1.000 en Asie et Amérique latine.

«Dans 32 pays sur 48, plus de 50% des causes de décès sont toujours imputables à des maladies transmissibles évitables. À un suivi maternel, prénatal et nutritionnel insuffisant, qui est dans une large mesure la conséquence de niveaux de fécondité toujours élevés.»

Réaliser une révolution contraceptive

Dans les 48 pays étudiés, les baisses de la fécondité ont été lentes et variables. «Pour éviter que la fécondité ne stagne autour de 4 enfants par femme et pour atteindre des niveaux de fécondité plus faibles, il faut que les pays réalisent leur révolution contraceptive», soulignent les experts.

Les niveaux de fécondité en ASS sont en grande partie le résultat de l’adoption tardive et lente de l’utilisation de la contraception.

«Pour achever la transition de la fécondité, il est nécessaire que toutes les femmes d’ASS soient pleinement conscientes de leurs droits reproductifs et soient en mesure de les exercer», notent les démographes. «Les décideurs politiques devront soutenir sans réserve les interventions proactives de réduction de la fécondité. Et renforcer les institutions de planification familiale et de population afin que l’agenda associé à ces nouvelles politiques de population puisse être mis en œuvre de manière mieux intégrée.»

Augmenter la population active

Pour accélérer la révolution contraceptive, il faudrait aussi exploiter simultanément les synergies entre l’éducation des femmes et l’accès au marché du travail. Promouvoir des programmes de nutrition. Œuvrer à des réformes juridiques. Notamment sur l’âge au mariage, les droits de propriété.

En 2020, 62% de la population avaient moins de 25 ans en ASS. Contre 26% en Europe, 33% en Asie de l’Est et du Sud-Est et 40% en Amérique latine. «Avec la baisse attendue de la fécondité, la population active augmentera plus rapidement que la population dépendante (les moins de 15 ou 20 ans et les 65 ans et plus)», concluent John F. May et Jean-Pierre Guengant. «Par conséquent, davantage de travailleurs pourront générer un surplus économique. À condition qu’ils aient accès à un emploi rémunéré.»

«Malheureusement, la pandémie du Covid-19 pourrait freiner les perspectives économiques futures de la région.»

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