Addictions : les souris adorent le milk-shake à la fraise

6 avril 2018
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 6 min

Série (4 et fin) / Chercheurs « WBI » à Montréal

Les liens entre les scientifiques de la Fédération Wallonie-Bruxelles et le Québec sont riches et multiples. Quatre scientifiques belges actuellement à Montréal en témoignent.

 

L’Amérique du Nord a un problème d’addictions aux opiacés. Et au laboratoire du Dr Brigitte Kieffer, une neurologue qui assure la direction scientifique du Centre de recherche de l’Institut Douglas, la Belge Julie Bailly, diplômée en sciences biomédicales de l’Université de Liège, mène des recherches doctorales liées à cette problématique.

« Mes travaux portent sur les effets des mécanismes liés à la récompense dans le cerveau », explique la scientifique, attachée à l’Université McGill (Montréal).

Master à Liège, Doctorat à Montréal

« Au cours de mon master à Liège, j’ai eu la chance de réaliser un stage de six mois à l’Université de Californie à San Diego, en neurosciences. C’est là-bas que j’ai eu des contacts avec l’Université McGill ». Le Dr Kieffer y est professeure en psychiatrie et titulaire de la Chaire Monique H. Bourgeois de recherche sur les troubles envahissants du développement.

« Le problème des addictions aux opiacés est une véritable catastrophe en Amérique du Nord », commente Julie Bailly. « On assiste à une véritable épidémie. Pas nécessairement parce que le nombre de toxicomanes explose, mais parce que les médecins ont beaucoup trop prescrit ce genre de médicaments contre la douleur à leurs patients. Lorsque ces patients cessent ce traitement, ils développent alors un état de manque et se tournent vers d’autres drogues comme de l’héroïne ou un dérivé synthétique ».

Écrans tactiles pour souris

« La médiane Habenula est une toute petite région du cerveau située au niveau des hippocampes », précise la chercheuse. « C’est dans cette région que l’on observe la plus grande densité de récepteurs aux opioïdes. Je tente de mettre en lumière les connexions que cette région du cerveau entretient avec le reste du système nerveux ».

« Je travaille donc beaucoup sur des souris. J’analyse par I.R.M. fonctionnelle les réactions qui se passent dans leur cerveau. Nous menons notamment des essais avec des écrans tactiles. Les souris doivent appuyer à un endroit précis. Quand elles réussissent l’exercice, elles reçoivent une récompense. Les souris adorent le milk-shake à la fraise ».

« J’étudie donc le comportement de souris, mais je travaille également sur des cerveaux humains relevant d’une banque de cerveaux de personnes décédées, souvent à la suite de suicide. Il s’agit d’identifier des niveaux d’ARN de la protéine d’intérêt dans différentes régions du cerveau.

Surtout, comprendre ce qu’on fait, de A à Z

Cela fait un an et demi que Julie Bailly a démarré sa thèse à Montréal grâce à une bourse d’excellence WBI World. Concrètement, comment cela se passe-t-il?

« Lors des premiers mois, j’ai été formée aux techniques du laboratoire », explique-t-elle. Cela a été suivi par une phase de validation du nouveau modèle murin (souris) que j’allais utiliser tout au long de ma thèse ».

« Nous avons aussi décidé d’utiliser dans ce projet de nouvelles techniques encore peu développées dans le labo, ce qui a nécessité la mise en place de pas mal de choses comme les équipements allant des pièces les plus importantes jusqu’aux plus petits détails, l’apprentissage de chirurgies « stéréotaxiques » sur souris et leur optimisation dans le cadre du projet, et finalement le test de nos différents protocoles expérimentaux au regard de ces nouvelles techniques ».

« J’ai trouvé cette période absolument géniale. A chaque fois qu’une nouvelle pièce arrivait, j’avais l’impression que c’était Noël au labo… Lors de chacune de mes nouvelles chirurgies, je sentais mon travail s’améliorer. En réalité, je devrais dire que je sens que mon travail s’améliore », car j’en apprends tous les jours. C’est très, très stimulant. Et bien entendu, d’un point de vue scientifique, cela me permet également de comprendre de A à Z ce que je fais.

Innover chaque jour un peu plus

Socialement, cette mise en place m’a également poussée à aller demander conseil et à aller à la rencontre de personnes plus expérimentées dans le domaine. C’est à cette occasion que j’ai pu tirer à fond avantage du fait que mon laboratoire soit situé dans un Institut avec une multitude de personnes spécialisées dans l’ensemble des domaines des neurosciences. Actuellement, j’entre dans une nouvelle phase, dans le vif du sujet, avec le début de mes « vrais » tests ».

« La vie au laboratoire va à 100 à l’heure, c’est très intense, les journées sont longues, mais le temps passe tellement vite. Heureusement, j’ai la chance de partager ma vie avec quelqu’un qui est dans le même délire que moi ».

Sortir de sa zone de confort

« Je pense que si j’avais effectué un doctorat en Belgique, je n’aurai pas été aussi impliquée. Ma chef, qui a pourtant déjà une belle carrière derrière elle, n’a pas peur, chaque jour, d’innover un peu plus, de développer dans le laboratoire de nouvelles méthodes à la pointe de la technologie. J’aime pouvoir être en première ligne de cette dynamique. »

« Il va de soi qu’en plus du côté « labo », il y a également tout l’aspect dépaysement/sortir de sa zone de confort qui entre en compte. J’ai dû apprendre ici à m’adapter et à devenir rapidement indépendante. Montréal est une ville extraordinaire. Les Québécois sont extrêmement chaleureux, ce qui facilite un peu la transition. Il y a également énormément d’étudiants étrangers dans la même situation que moi. On ne se sent pas trop seule ».

Conversation quotidienne avec la Belgique

La médaille a bien sûr son revers. La distance avec la famille en Belgique est parfois lourde à porter pour Julie Bailly. « Je suis très, très proche de ma famille. Je téléphone chaque matin à mes parents, ma petite sœur ou mes grands-parents », confie-t-elle.

« Dans les moments difficiles, les coups de mou ou la période des fêtes, la distance peut vraiment être pesante. Heureusement, même si la séparation est difficile, ils me soutiennent toujours et c’est ce qui est le plus important à mes yeux. J’essaye en retour de les surprendre dès que je peux par une visite surprise en Belgique ! »

Une difficulté qui ne lui a cependant jamais fait regretter son choix. Si c’était à refaire?  « Je suis partante ! », s’exclame-t-elle. « Même si c’est difficile, je pense que je vais ressortir énormément grandie de cette expérience ». Quant à la suite de sa carrière de chercheuse, elle ne fait aucun plan particulier. « Je ne veux me fermer aucune porte », dit-elle encore. « Juste décider le moment venu selon mes envies et les propositions qui se présenteront à moi. Peut-être encore une autre destination?  Moins froide peut-être que l’hiver à Montréal? »…

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