Les enseignements de l’abstention électorale en Belgique

6 avril 2022
par Camille Stassart
Durée de lecture : 5 min

Alors que les Français s’apprêtent à voter pour l’élection présidentielle, l’abstention reste un sujet de préoccupation majeur. En Belgique, malgré le vote obligatoire, ce phénomène est aussi une réalité. Le taux de non-votants augmente même au fil du temps.

Un rapport commandé par l’entreprise Belgian Mobile ID (développeur de l’application Itsme) et réalisé par des chercheurs de l’ULB et de la VUB, a étudié la question de manière exhaustive. Ce projet détermine les facteurs qui influencent la participation aux élections belges et suggère des solutions pour ramener les électeurs aux urnes, à deux ans des prochains scrutins fédéraux, régionaux, provinciaux, communaux et européens.

Le grand gagnant des élections de 2019 est l’abstention

900.000 électeurs ne se sont pas présentés au bureau de vote lors des élections législatives de 2019, selon le SPF Intérieur. A cela, s’ajoutent 430.000 citoyens qui ont déposé un bulletin blanc ou nul. Au total, 17% de la population n’a pas exercé son droit de vote. Dépassant ainsi le nombre de votes engrangés par la N-VA, le premier parti représenté à la Chambre.

Les causes de l’abstentionnisme sont multiples. Chez certains électeurs, l’abstention est le résultat de situations socio-économiques (isolement social, faible niveau d’éducation… ) qui rendent plus difficile la formulation d’un choix électoral.

Pour d’autres, l’acte est involontaire et lié à des raisons professionnelles, de santé, ou par manque d’informations. Il existe aussi les abstentionnistes de conjoncture, qui votent à certains scrutins, mais pas à d’autres. Enfin, on trouve des abstentionnistes protestataires.

La méfiance envers les politiques en augmentation

D’après les auteurs, certains citoyens n’émettent pas de vote parce qu’ils ne se sentent pas bien représentés. Or, « des ratés dans la logique de représentation tendent à générer de la méfiance parmi les électeurs », constate le rapport. « En Wallonie, l’abstention et le vote non valide sont les premiers choix des électeurs très insatisfaits de la politique. En Flandre, c’est le 2e choix après le vote pour des partis porteurs d’un rejet du système politique en place (Vlaams Belang, mais aussi N-VA). »

Pour Jean-Benoit Pilet, chercheur au Centre d’Etude de la Vie Politique de l’ULB et co-auteur de l’étude, les taux d’abstention records aux élections de 2010, 2014 et 2019 renvoient à un rejet de la politique. Une tendance qui a commencé dans les années 70 et s’est accélérée dans les années 90. « Et on peut supposer que les deux années de crise sanitaire que nous venons de vivre ont encore érodé cette confiance. »

 

Non-votes et votes non-valides en Belgique ©ULB / VUB / Itsme

Pour les chercheurs, une solution pour rétablir cette confiance serait de travailler sur la proximité entre élus et citoyens, en rendant les contacts plus fréquents. Il est aussi essentiel que les décisions prises soient plus transparentes et que les groupes minoritaires et les femmes soient mieux représentés.

Revoir les règles électorales

Les règles du système électoral apparaissent aussi jouer un rôle. « Quand l’électeur voit que son vote a un impact immédiat sur ceux qui gouvernent, il a tendance à aller plus souvent voter. Chez nous, le citoyen ne comprend pas comment on arrive, au bout de plusieurs mois, d’une élection où la N-VA et la Vlaams Belang sont en tête des scrutins à un Premier ministre de l’Open VLD. Aujourd’hui, il y a non seulement une perte de confiance dans les élus et les partis, mais aussi un mécontentement de la manière dont fonctionne la politique », note le Pr Pilet. « Une idée serait de donner une ‘prime’ au parti gagnant, lui permettant de prendre la main pour former plus rapidement un gouvernement (comme en Italie et en Grèce). »

En parallèle, les lois organisant le scrutin sont parfois contraignantes. L’inscription sur les listes d’électeurs ne se fait pas de manière automatique pour le citoyen de nationalité étrangère. Il n’est, en outre, pas possible de voter de manière anticipée ou à distance (par courrier ou Internet). Selon les chercheurs, simplifier l’acte de voter et les démarches administratives associées permettrait d’augmenter la participation des électeurs non-belges et des abstentionnistes involontaires, comme les seniors.

Un acte qui s’apprend

Une autre piste pour encourager les citoyens à voter serait de faciliter l’accès à l’information sur les élections et les candidats via des campagnes de proximité ou des outils d’aide au vote, comme le « Test électoral », qui a vu le jour en 2019. Selon des études, ces outils auraient un impact particulièrement important chez les jeunes.

Une solution serait aussi de proposer, dans toutes les écoles, des programmes d’éducation civique, comme cela se fait au Canada, aux États-Unis ou dans les pays scandinaves. Le rapport souligne néanmoins que l’effet de ces programmes « est plus prononcé sur d’autres formes plus souples de participation politique comme le fait de signer des pétitions, ou de réorienter ses achats et autres comportements (modes de transport, notamment) pour des raisons politiques. L’éducation civique peut donc avoir des effets sur la qualité de la citoyenneté, mais pas nécessairement sur le vote. »

Le vote, un levier d’action parmi d’autres

Selon certains travaux, la non-participation aux élections s’inscrirait dans le cadre d’une mutation des formes de participation. « On ne doit pas noircir le tableau en pensant que tous les abstentionnistes se contrefichent de la politique. Il existe une frange de la population, souvent plus éduquée, qui tend à élargir son registre de participation politique. Chez eux, l’acte électoral n’est plus central, et d’autres formes de participation deviennent alors plus légitimes.»

Un second projet mené par Itsme, l’ULB et la VUB étudiera d’ici quelques mois les nouveaux forums de participation citoyenne qui se développent actuellement. « L’idée est d’analyser ce qui se fait en Belgique et ailleurs, et ce que la recherche nous dit des opportunités ou des difficultés de ces nouvelles formes de participations ».

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