Dans quelques jours, l’ambitieux satellite scientifique « Aeolus », de l’Agence spatiale européenne (ESA), qui a passé de longs mois à Liège l’an dernier, va quitter l’Europe pour gagner le port spatial de Kourou, en Guyane française. Fin août, une fusée Vega le déposera en orbite, à 320 kilomètres d’altitude. Sa mission: mesurer les vents qui soufflent tout autour de la Terre, de manière globale, depuis le sol jusqu’à une altitude de 30 kilomètres.
Mesurer le vent, un paramètre de base de l’atmosphère
« Le vent est, avec la pression, la température et l’humidité, un des principaux paramètres de base de l’atmosphère », rappelle le Dr Alain Dabas, météorologue. « C’est également un des paramètres pour lequel nous ne disposons que de données parcellaires. Elles proviennent de mesures locales réalisées au sol, au niveau de la mer (via les bouées) ou encore à quelques kilomètres d’altitude, là où évoluent les avions ».
« Le vent est aussi particulièrement capricieux. Il ne souffle pas de la même manière ni dans le même sens à toutes les altitudes», rappelle de son côté Dominique Gillieron, ingénieur chez Airbus Defence and Space, constructeur d’Aeolus. « Les ballons-sondes livrent bien sûr ces types de profils de vents aux scientifiques. Mais il ne s’agit que de mesures ponctuelles ».
Avec le nouveau satellite scientifique de l’ESA, les chercheurs devraient bénéficier dans quelques mois de données globales concernant les vents et leurs profils. De quoi sans aucun doute améliorer les modèles de prévisions météorologiques. « Même si ce satellite est avant tout un démonstrateur scientifique et non un outil opérationnel », souligne de son côté Josef Asbacher, le directeur des programmes d’observation de la Terre à l’ESA.
Cinquante mesures par seconde pendant trois ans
Pour remplir sa mission, Aeolus est doté d’un instrument unique: Aladin (Atmospheric LAser Doppler INstrument). Cet instrument a nécessité plus de 16 années de développement pour enfin être mis au point.
« La technologie utilisée est un laser spatial travaillant dans le domaine de l’ultraviolet à haute fréquence (50 mesures par seconde) et pendant plusieurs années. C’est un instrument pour lequel les défis technologiques à relever ont été nombreux et insoupçonnés, ce qui explique la durée de son développement », indique l’ingénieur belge en aéronautique Olivier Lecrenier, arrivé voici 25 ans chez Airbus Defence & Space à Toulouse.
« Cela fait en réalité 18 ans que je travaille sur ce projet », précise-t-il. « Depuis le programme d’avant-projet de l’instrument scientifique jusqu’au développement du modèle de vol ».
Tous les aspects liés à l’ingénierie du projet ont mobilisé son attention. Surtout la question du laser, développé avec la firme italienne Leonardo.
24 sous-couches atmosphériques étudiées sur une épaisseur de 30 kilomètres
Pour « voir » les vents dans un ciel sans nuage et en définir les caractéristiques sur une trentaine de kilomètres d’épaisseur atmosphérique, l’instrument mis au point est d’une rare ambition. Il s’agit d’un Lidar (Light Detection and Ranging). L’instrument émet un rayonnement laser dans l’ultraviolet. Le faisceau est « réfléchi » par les particules qu’il rencontre sur son chemin (cristaux de glace, poussières, aérosols, molécules…) et les quelques photons réémis vers le satellite sont captés par son télescope. L‘analyse de la vitesse entre l’émission et la réception du signal permet de déduire l’altitude des particules à l’origine du rebond du signal d’origine et la direction du vent qui les porte.
« Aeolus va fournir des informations précises sur quelque 24 sous-couches atmosphériques allant de la surface du sol jusqu’à une altitude de 30 kilomètres », précise Anders Elfving, Directeur du projet Aeolus à l’ESA.
Le principe est simple. Les résultats escomptés sont alléchants. Mais les défis technologiques à résoudre pour mettre Aladin au point ont été nombreux…
Un puzzle optique de 80 pièces
« Le laser se compose de 80 pièces optiques qui tiennent dans le volume d’une boite à chaussures », explique Olivier Lecrenier. « Cet instrument dissipe beaucoup d’énergie thermique, ce qui est de nature à déformer certaines pièces du laser, dont certaines sont très minces. Or nous ne tolérons pas de déformations plus grandes que quelques microns, au risque sinon de rendre l’instrument inopérant. Il a donc fallu trouver de solutions techniques, notamment en ce qui concerne les surfaces protectrices dont sont revêtues ces pièces ».
Écoutez Olivier Lecrenier expliquer quels ont été les défis relevés pour mettre au point Aladin:
Tests déterminants réalisés au centre spatial de Liège
« Aladin est tellement particulier et ambitieux qu’il fait l’objet de toutes les attentions de nos partenaires internationaux », précise Dominique Gillieron. « Aux États-Unis, la NASA avait développé un instrument du même genre pour son satellite ICEsat. Il devait fonctionner en orbite pendant trois ans. Il a cessé de fonctionner après 18 jours. C’est dire si la technologie développée chez Airbus Defence and Space est scrutée avec beaucoup d’intérêt ».
Outre les tests déterminants réalisés au Centre spatial de Liège pendant six semaines l’an dernier, on notera que ce projet européen a aussi mobilisé d’autres partenaires belges. La société EHP (Nivelles) a été impliquée dans le projet de même que la SONACA, à Charleroi (pour les bancs optiques).
Un satellite scientifique de 481 millions d’euros
En observant les vents, Aeolus va permettre de combler un trou dans las données utilisées par les prévisionnistes. Il va aussi répondre à de nouveaux besoins scientifiques, et pour lesquels une vision spatiale s’avère pertinente. Par exemple en ce qui concerne une meilleure compréhension des cycles liés au transport de l’humidité dans l’atmosphère, la circulation des aérosols, la chimie atmosphérique, les transports de polluants, des cendres volcaniques…
Mais les vents ont aussi un impact sur de multiples activités humaines, comme le transport aérien ou maritime, la production d’énergie électrique avec les éoliennes, les pêcheries.
Ce projet Aeolus à 481 millions d’euros pourrait-il donner à terme naissance à un engin opérationnel ? « Il s’agit d’un démonstrateur scientifique », rappelle Josef Asbacher, le directeur des programmes d’observation de la Terre à l’ESA. « Si Aeolus fait ses preuves et que la communauté des utilisateurs, principalement les météorologues et les climatologues, estime qu’un engin opérationnel du même genre s’avère indispensable, on en rediscutera ».