À l’origine, Alexandre Plennevaux était traducteur. Il rendait des textes rédigés en anglais et en espagnol accessibles aux francophones. Désormais, à Namur, ce professeur d’ergonomie visuelle, comme on serait tenté de l’appeler, traduit les couleurs…
« Dans le cadre du projet de recherche Visionary (Visual impairment solution for image-based open education and web navigation research and study), nous essayons surtout de rendre le web plus accessible aux personnes souffrant de déficiences visuelles », indique-t-il. « Et en particulier, à celles souffrant de daltonisme. Cela passe donc par une certaine « traduction des nuances de couleurs ».
Un homme sur douze
Et le problème est loin d’être confidentiel. « Le daltonisme touche davantage les hommes que les femmes: un homme sur 12, pour une femme sur mille, environ », précise Alexandre Plennevaux, maître-assistant à la Haute Ecole Albert Jacquard (HEAJ), de Namur. C’est depuis cette haute école que le projet Visionary est piloté.
« Avec le temps, les personnes qui souffrent de daltonisme développent spontanément des stratégies cognitives pour compenser leur problème visuel », continue-t-il. « Par exemple en se concentrant sur les contours d’une forme ou d’un animal pour l’identifier dans son contexte coloré. Dans certaines situations, c’est assez efficace. Dans d’autres, c’est nettement plus problématique ».
Un web plus accessible pour les daltoniens
D’où l’initiative Visionary. Il s’agit d’un projet de recherche financé par la Région Wallonne dans le cadre du fonds Germaine Tillon en innovation sociale.
Le projet est mené en collaboration avec le centre PReCISE de l’Université de Namur et une entreprise privée: Dogstudio. Celle-ci devrait pouvoir utiliser, voire commercialiser, certaines retombées de ce projet dont Alexandre Plennevaux, chercheur à l’HEAJ, est le coordinateur d’une équipe comprenant Benoit Vanderose (UNamur), Saria Hatoum (UNamur) et Benoît Vrins (HEAJ).
« Avec Visionary, nous tentons donc de rendre certaines sources d’informations colorées plus accessibles. Principalement sur le web. Avec la « génération écran » que nous connaissons aujourd’hui, c’est indispensable. Ceci dit, rendre des pages web et les interfaces plus claires et plus accessibles, c’est aussi bénéfique pour l’ensemble des utilisateurs ».
Des alertes météo qui passent… inaperçues
« Prenez le plan du métro de Londres par exemple. Pour un daltonien, c’est inutilisable. Certaines couleurs se fondent les unes dans les autres. Difficile dans ce cas de planifier ses déplacements. Regardez aussi cette carte des alertes météorologiques en France ».
« Ici, clairement, les bonnes informations risquent d’échapper aux daltoniens qui consultent le site, comme le montre notre carte simulant ce que voit réellement un daltonien. Pourtant, des solutions existent. Il suffit par exemple de combiner certaines couleurs avec des hachures différentes, pour faire passer à tous les internautes l’information pertinente ».
Test de dépistage en ligne et extension de navigateur
À Namur, les partenaires du projet de recherche Visionary ont plusieurs fers au feu. Ils s’intéressent à toutes les facettes de la problématique. Ils ont déjà développé un test de dépistage du daltonisme librement accessible sur le web. Une sorte de jeu où il faut remettre en ordre des bandes de couleur de manière à construire un dégradé harmonieux. Encore faut-il percevoir toutes les nuances proposées!
Avec leur partenaire industriel et l’université locale, les chercheurs de la Haute Ecole Albert Jacquard (qui fait partie du réseau des Hautes Écoles SynHERA) travaillent actuellement à la mise au point d’une extension pour navigateur internet qui remplacera automatiquement certaines couleurs en fonction de la déficience visuelle de l’internaute. Un paramétrage personnalisé, précisément grâce au test de dépistage.
« Tous les cas de daltonisme ne sont pas identiques », souligne Alexandre Plennevaux. « Il convient donc de définir les gammes de couleurs qui posent problème ».
« Dès ce printemps, notre module sera testé sur le navigateur Chrome. En fonction du type de déficience visuelle, il adaptera les couleurs concernées pour assurer une meilleure lisibilité des sites visités. Cela améliorera le confort d’utilisation de l’internaute et minimisera le risque d’erreurs induit par des interfaces peu ou mal adaptées ».
De manière plus globale, les partenaires de Visionary espèrent aussi sensibiliser les web designers et web développeurs à cette problématique. « Si nous réussissons à leur faire intégrer d’emblée ce souci de visibilité accrue pour tous les utilisateurs quand ils conçoivent un nouveau site web, cela sera déjà un grand pas en avant », conclut Alexandre Plennevaux, dont le projet de recherche devrait se clôturer au mois de septembre prochain.