La jeune femme entre dans le cœur des cardiologues

7 mars 2019
par Jean Andris
Temps de lecture : 5 minutes

Certaines idées médicales ont la vie dure… mais finissent par tomber. On a longtemps cru (et prétendu) que l’infarctus était l’apanage des hommes et – qui plus est – des hommes d’âge mûr. Eh bien non ! Au congrès de la Société Belge de Cardiologie, qui vient de se tenir à Bruxelles, une forme d’infarctus chez la jeune femme vient d’être mise en avant. C’était bien justifié car il est temps d’adopter une autre attitude que de renvoyer la jeune patiente en lui disant de manière plus ou moins explicitée que si elle a mal dans la poitrine, en fait « c’est dans la tête ».

Un mécanisme différent

La science avance à grands pas, dit-on. Et la médecine avec elle. Il faut tout de même reconnaître que dans certains domaines, elle « se hâte avec lenteur » (« Le lièvre et la tortue »).  C’est en effet en 1931 que la première description d’une cause rare d’infarctus chez la jeune femme, la dissection spontanée de l’artère coronaire, a été décrite. La littérature médicale anglophone parle de SCAD, pour « Spontaneous Coronary Artery Dissection ». C’est comme si une couche de la paroi interne de l’artère coronaire, celle qui nourrit le cœur, se soulevait et en se séparant du reste de la paroi, obstruait l’artère. Mais c’est seulement depuis quelques années à peine qu’on se préoccupe de ce problème de manière intensive.

Pourtant, dans le cas du SCAD, le mécanisme est tout différent de celui de l’infarctus le plus courant. Une crise cardiaque est généralement la conséquence de l’accumulation progressive de graisse dans la paroi d’une artère coronaire, puis de la rupture de la poche d’artériosclérose ainsi formée. Le tabagisme, l’hypertension artérielle, l’excès de cholestérol dans le sang, l’obésité ou encore le diabète sont des facteurs de risque de cette forme particulière d’artériosclérose, que les médecins appellent athéromatose. Et la grande différence avec le SCAD, c’est que celui-ci touche dans 90 % des cas des femmes âgées en moyenne de 52 ans. Les premiers cas qui ont été décrits concernaient même des femmes plus jeunes encore, puisqu’il s’agissait de mamans ou de futures mamans arrivées au terme de leur grossesse ou ayant très récemment accouché. Mais on sait aujourd’hui que le SCAD est responsable de 25 % des crises cardiaques chez les femmes de moins de 50 ans. Lors du Congrès européen annuel de cardiologie à Munich, le Pr Jacqueline Shaw, venue du Canada, a présenté la plus grande série de cas de SCAD connue jusqu’à présent : 750 personnes, dont près de 90 % étaient des femmes.

De fausses excuses

La Belgique n’est pas épargnée. Des chiffres similaires ont été observés auprès d’un groupe de femmes traitées pour une crise cardiaque à l’UZ Gent entre 2007 et 2017 : 18 % des crises cardiaques chez les femmes de moins de 50 ans se sont avérés être des cas de SCAD. Ce chiffre est même passé à 43 % après exclusion des femmes présentant différents facteurs de risque cardiaques. À l’hôpital Middelheim à Anvers, des chiffres comparables ont été constatés : lors d’une réévaluation de 102 patients de moins de 50 ans ayant été victimes d’un infarctus sur une période de 5 ans (2013-2017), il est apparu que 26 % des crises cardiaques ont été causées par une SCAD.

Malgré ces chiffres non négligeables, ce type de crise cardiaque est encore sous-diagnostiqué de nos jours. Il est vrai que le diagnostic d’une crise cardiaque chez les femmes est plus difficile à poser que chez les hommes, que les femmes se plaignent moins vite que les hommes et que dans la mentalité médicale, la jeune femme est protégée contre l’infarctus par ses hormones, jusqu’à la ménopause. De plus, les médecins sont formés à penser que les chances d’avoir une crise cardiaque pour une jeune femme ne présentant aucun des facteurs de risque classiques sont quasi inexistantes et qu’il faut éviter les examens superflus. Et les femmes elles-mêmes essayent souvent de trouver une explication à leurs symptômes, comme le stress par exemple. Mais contrairement à ce qu’on a longtemps pensé, la femme et même la jeune femme, n’est pas à l’abri de ce drame.

Comme dans l’infarctus « classique », une forte douleur oppressante dans la poitrine constitue le symptôme le plus fréquent du SCAD. Mais les femmes concernées rapportent également d’autres signes, comme une douleur dans la mâchoire, dans la nuque ou dans le dos ou encore des sueurs, des nausées, une douleur dans un ou deux bras, un essoufflement et/ou un étourdissement.

En fait, le stress n’est pas une cause directe mais un déclencheur important de SCAD. Il est dès lors conseillé aux cardiologues, comme aux patientes, à leur généraliste et à leur entourage, de prendre les choses au sérieux. Il est important, dans ces cas-là, de procéder à des examens complémentaires lorsque les symptômes et l’électrocardiogramme laissent présumer une crise cardiaque, malgré un profil de risque faible.

Combinaison néfaste

Toutes les causes de SCAD ne sont pas encore connues mais en plus du rôle déclencheur qu’on pense pouvoir attribuer au stress, on suspecte une combinaison avec d’autres facteurs tels que des efforts intenses et une prédisposition sous-jacente. A côté de certaines maladies héréditaires des tissus conjonctifs qui ne sont responsables que d’un petit nombre de cas, un lien évident a été établi avec une autre affection rare qui manifeste surtout chez les femmes, la dysplasie fibromusculaire. L’importance de cet élément pour les patientes n’est pas encore totalement claire. Une chose est sûre : la poursuite de la recherche est indispensable et celle-ci s’effectue tout d’abord en continuant de collecter les données de ces patientes. Voilà pourquoi en 2019, un registre européen sera créé, en collaboration avec l’European Society of Cardiology, pour récolter un maximum de données et d’informations.

Haut depage