Plongée virtuelle au cœur des phobies

7 mai 2021
par Camille Stassart
Durée de lecture : 4 min

Il y a la peur des araignées. Mais aussi celle des aiguilles, des clowns, des ascenseurs, etc. Une peur est généralement considérée comme phobie quand celle-ci est « marquée et persistante, de manière excessive ou déraisonnable, et déclenchée par la présence ou l’anticipation d’un objet ou d’une situation spécifique. »

La phobie a un impact sur la qualité de vie, du fait qu’elle entraîne des comportements d’évitement, plus ou moins poussés. Cela peut être d’éviter de se rendre chez ses voisins, car ils possèdent un chien. Jusqu’à décider de déménager.

La technique la plus courante pour traiter la phobie se base un principe assez simple : exposer la personne à l’objet ou la situation phobogène. Et la réalité virtuelle représente un outil intéressant dans ce cadre. Lors d’une conférence organisée par l’ULiège et la ville de Verviers, Anne-Marie Etienne, psychologue clinicienne à l’ULiège, est revenue sur l’emploi de cette méthode, et son intérêt par rapport aux thérapies plus classiques.

Des peurs irrationnelles à l’épreuve du réel

« La réalité virtuelle est un outil qui va permettre à l’utilisateur d’explorer physiquement un environnement virtuel en 3D, géré par un ordinateur, et d’interagir avec cet environnement en temps réel », explique la Pre Etienne. Dans le traitement des phobies, cette technologie apparaît comme une approche complémentaire pertinente aux modalités d’exposition classique.

« Ces dernières consistent à identifier l’objet phobique chez la personne, puis de lister les situations dans lesquelles elle craint d’être en contact avec celui-ci. Sur base de cette liste, cette personne est, graduellement et à son rythme, exposée à sa phobie, de manière réelle ou imaginaire », développe la docteure en sciences psychologiques et de l’éducation.

Cela peut commencer, par exemple, par une photo d’une araignée, puis par son observation dans un terrarium, puis en liberté dans le cabinet du psychologue. Le patient sera ainsi confronté à sa peur, et ne pourra pas mobiliser de stratégies d’évitement. « Cela va au début augmenter son anxiété, mais il finira par apprendre de ces expériences » assure la chercheuse.

« La personne peut, entre autres, constater que l’araignée ne va pas automatiquement l’attaquer, mais s’éloigner pour se cacher. Ces observations favoriseront donc la déconstruction de croyances dysfonctionnelles. En outre, au fur et à mesure des expositions à l’objet, la personne s’y habituera, et la peur se résorbera plus vite », poursuit-elle.

Traiter les phobies à l’aide de la réalité virtuelle repose sur la même idée : le thérapeute plonge le patient dans un univers virtuel, où il sera exposé à l’objet ou la situation phobogène. L’idée étant que l’utilisateur transfère, par la suite, au monde réel ce qu’il apprend dans ce monde virtuel.

Un outil thérapeutique modulable

Plusieurs environnements 3D ont d’ores et déjà été développés à cette fin au sein du laboratoire « Teaching with VR » de l’ULiège.

Dans cette vidéo, la docteure Etienne emploie la réalité virtuelle pour traiter la phobie des serpents :

L’un des intérêts de la thérapie d’exposition par réalité virtuelle est qu’elle ouvre le champ de possible. Déjà, elle offre une plus grande flexibilité au niveau des environnements (appartement, jardin, espace public…), ce qui permet de multiplier les situations où le patient sera susceptible d’entrer en contact avec l’objet dans la réalité. « De plus, la réalité virtuelle permet de mobiliser des stimuli difficilement accessibles ou contrôlables lors d’une thérapie classique, comme la peur des pigeons, de l’avion, de conduire une voiture, de la hauteur, etc. », précise la Pre Etienne.

Des résultats plus rapides

En comparaison aux thérapies classiques, une récente méta-analyse réunissant les résultats de 30 études a montré que l’exposition par réalité virtuelle est aussi efficace que celle in vivo. C’est donc un outil valide au niveau de la prise en charge, qui présente d’ailleurs plusieurs avantages.

Avec la thérapie d’exposition par réalité virtuelle, les patients sont davantage en mesure de contrôler la situation anxiogène. L’objet phobogène s’activera (apparaîtra dans l’environnement, s’y déplacera) toujours en accord avec la personne. « L’augmentation du sentiment de confiance et d’auto-efficacité est ainsi unanimement décrite. Plus de 50 % des personnes sortent de l’expérience en disant ‘si je parviens à me confronter à ma peur ici, c’est que je suis assez fort pour le faire dans la vie de tous les jours’ » témoigne la chercheuse.

« C’est un constat qui est aussi formulé chez les patients en thérapie classique, mais moins rapidement. Avec la réalité virtuelle, la personne crée plus tôt des associations positives avec l’objet phobogène, et donc réduira plus vite ses croyances dysfonctionnelles.» Cet outil est dès lors moins coûteux en temps (et en argent) pour le patient : « Il faut moins de séances pour atteindre le même résultat qu’avec les thérapies classiques. Et les séances en elles-mêmes sont aussi plus courtes : l’exposition en réalité virtuelle oscille entre 10 à 15 minutes » conclut la Pre Etienne.

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