Forêts tropicales africaines d’altitude : menace sur un puits de carbone sous-estimé

7 juillet 2022
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 4 min

Série « Vert, j’espère » (3/3)

Contre toute attente, lorsqu’elles sont intactes, les forêts tropicales de montagne d’Afrique stockent dans leur bois et leurs racines pas moins de 150 tonnes de carbone par hectare. Soit davantage que la forêt amazonienne. Pourtant, jusqu’à présent, il était estimé que ces forêts d’altitude stockaient à peine 89 tonnes de carbone par hectare, sous-évaluant grandement leur rôle dans la régulation du changement climatique. Ces conclusions, issues d’une étude internationale à laquelle ont participé deux chercheurs du Musée royal de l’Afrique centrale, appellent à stopper urgemment la déforestation massive.

De la Guinée à l’Éthiopie, en passant par le Mozambique, les scientifiques ont analysé pas moins de 72.000 arbres sur 44 sites montagneux dans 12 pays africains. Sur chaque site, ils ont mesuré le diamètre et la hauteur de chacun des arbres présents sur les parcelles finement délimitées, et identifié leur espèce.

Outre mettre en avant le gigantesque puits de carbone que sont les forêts tropicales de montagne du continent africain, l’étude révèle que celles-ci ont une structure similaire aux forêts de basse altitude.

Stockage indépendant de l’altitude

« Contrairement aux autres continents, on observe, en Afrique, le même stockage de carbone par unité de surface dans les forêts de basse altitude que dans les forêts de montagne. Et contrairement à la croyance, les gros arbres (d’un diamètre de plus de 70 cm) sont nombreux dans les forêts de montagne, et stockent beaucoup de carbone », explique l’autrice principale de l’article, Dre Aida Cuni-Sanchez, du département d’environnement et de géographie de l’Université de York et de l’Université norvégienne des sciences de la vie.

Comment expliquer cette spécificité tropicale africaine ? La question demande à être creusée davantage, néanmoins, « il est possible que la présence sur le continent de grands herbivores, comme l’éléphant, joue un rôle important dans l’écologie de forêts de montagne. En effet, ces animaux dispersent les graines et les nutriments et mangent les petits arbres, créant ainsi l’espace nécessaire pour permettre aux autres de grandir. »

« Alors que de précédentes recherches avaient déjà montré que les forêts de basse altitude étaient de puissants puits de carbone, il est désormais clair que les forêts tropicales de montagne jouent ce rôle majeur et sous-estimé de stockage », explique Wannes Hubau, chercheur au Musée royal de l’Afrique centrale et professeur à l’Université de Gand.

« De plus, ces écosystèmes abritent une biodiversité particulièrement riche et unique, et sont un refuge pour de nombreuses espèces animales et végétales rares et menacées », précise-t-il.

Les forêts, précieuses à plus d’un titre

Et l’urgence est là. En effet, les chercheurs estiment qu’au cours des 20 dernières années, quelque 0,8 million d’hectares de forêts africaines d’altitude ont disparu. Et ce, principalement en République démocratique du Congo, en Ouganda et en Éthiopie.

« Environ 5 % des forêts tropicales africaines ont été rasées depuis 2000 et, dans certains pays, ce taux dépasse même les 20 %. Outre leur importance pour la biodiversité et la régulation du climat, ces forêts sont précieuses, car elles approvisionnent en eau des millions de personnes en aval », pointe Dr Phil Platts, du département d’environnement et de géographie de l’Université de York et du Groupe de spécialistes sur les changements climatiques de l’UICN, et co-auteur de l’étude.

« Si la déforestation se poursuit au rythme actuel, pas moins de 0,5 million d’hectares supplémentaires seront perdus d’ici 2030 », notent encore les chercheurs.

Arrêter le massacre

La plupart des nations africaines sont conscientes des effets néfastes du déboisement, et se sont engagées à consacrer de vastes étendues de terre à la restauration des forêts dans le cadre du Défi de Bonn. L’objectif de cet accord signé en 2011 est de restaurer, au niveau mondial, 350 millions d’hectares de terres dégradées et déboisées d’ici à 2030.

Si le reboisement est important pour atténuer le changement climatique, les chercheurs s’accordent à dire que la priorité devrait être d’éviter la déforestation « Comme l’indique l’Accord de Paris, la réduction de la déforestation tropicale, tant dans les forêts de basse altitude que de montagne, doit être une priorité. »

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