Série : Chercheur et aventurier (4/5)
En décembre 2022, c’était la quatrième fois que Vinciane Debaille foulait la glace de l’Antarctique. Professeure de géologie et responsable du laboratoire G-TIME (Geochemistry: Tracing with Isotopes, Minerals, and Elements) à l’ULB, elle emmenait une équipe internationale dans une mission de reconnaissance. Leur objectif ? Vérifier si les alentours de la Station belge Princess Elisabeth Antarctica sont bien des zones d’accumulation de météorites comme l’a indiqué une intelligence artificielle.
Une préparation de longue haleine
Une mission en Antarctique, cela ne s’improvise pas. La meilleure période au niveau météo va de début décembre à fin janvier. Soit en plein cœur de l’été austral. Les préparatifs de l’expédition commencent dès le mois de mars. Le matériel quitte le plancher des vaches bien avant les chercheurs. En septembre, il est embarqué à bord d’un paquebot,, direction l’Antarctique. Il atteindra le continent blanc au bout de longues semaines de navigation.
Pour les scientifiques, le voyage se fait en avion. « Lors de la dernière mission réalisée en décembre 2022, nous avons d’abord pris l’avion jusqu’en Afrique du Sud. Durant la semaine sur place, nous avons reçu différents briefings de sécurité et essayé les vêtements polaires à emporter en Antarctique », explique Pre Vinciane Debaille. « Ensuite, nous avons embarqué dans un avion-cargo non isolé (comme les avions militaires, NDLR) pour un vol de 5 heures survolant les flots jusqu’à la base privée Novo Alexeyevka. De là, après quelques heures d’attente, nous avons embarqué à bord d’un petit avion doté de skis, ce qui lui permet de se poser facilement, quelle que soit la structure du sol. »
Une carte aux trésors
Une fois les bagages déposés à la station Princesse Élisabeth, la mission de 3 semaines a pu commencer. « C’était une mission assez courte comparée aux précédentes, car pour la première fois, nous n’étions pas certains de trouver des météorites. En effet, jusqu’alors, nous allions en prélever dans le champ de glace bleue de Nansen, au sud de la station. Résultat : il n’y en a plus à cet endroit. Il nous fallait trouver de nouveaux champs de glace bleue où les météorites sont concentrées. »
Pour ce faire, Veronica Tollenaar et Harry Zekollarin, deux jeunes chercheurs du laboratoire de glaciologie, ont créé une véritable carte aux trésors. Ils ont combiné, dans un algorithme d’intelligence artificielle, toutes les connaissances actuelles concernant les zones de glace bleue où se concentrent les météorites : données satellitaires, mais aussi constats de terrain concernant la température et la vitesse de progression de la glace, ou encore le relief du continent. Ce modèle identifie donc des zones de glace bleue dotées des mêmes caractéristiques que celles où les géologues ont déjà trouvé de riches concentrations en météorites par le passé.
Vérification sur le terrain
« Sur cette base, lors de la mission qui s’est déroulée fin 2022, nous sommes partis à l’aventure dans trois zones identifiées par l’algorithme », explique la maître de recherche FNRS.
L’équipe a pu bénéficier de l’expérience d’Alain Hubert ouvrant des routes pour éviter les zones dangereuses, notamment les crevasses, parfois au prix de grands détours. Mais aussi campé par -10°C et parcouru en motoneiges des dizaines de kilomètres dans les sastrugi, des dunes de neige indurées par le vent.
« On s’est vite rendu compte qu’il y avait de nombreuses roches terrestres dans les trois zones identifiées par l’algorithme. Elles forment des amas foncés sur la glace, rendant difficile l’identification au premier coup d’œil des météorites, comme cela était le cas dans le champ de glace bleue à Nansen. Tout petit point noir n’étant pas une météorite, cela explique qu’on en ait finalement ramené moins que lors des missions précédentes », explique Pre Debaille.
« Après une semaine sur le premier lieu : la récolte était bonne, mais pas extraordinaire. Ensuite, comme nous n’avons trouvé aucune météorite sur les deux autres sites, notre moral était au plus bas. Et puis, la dernière journée de la mission, il faisait grand beau. On a alors décidé de retourner au premier endroit, mais cette fois-ci par l’est. Bien nous en prit : à la fin de la journée, nous avons trouvé une météorite provenant de la ceinture d’astéroïdes de 7,6 kilos! Une météorite aussi grosse, c’est relativement rare. »
Il est interdit de la toucher. Dès lors, pour la ramasser, les scientifiques ont dû ruser. Ils l’ont emballée dans des feuilles d’aluminium, puis dans de grandes feuilles plastiques, puis dans du papier bulle pour la protéger du transport. Maintenue congelée depuis sa découverte, elle attend de livrer ses secrets.
Pour Vinciane Debaille, cette non-validation, par le terrain, des résultats donnés par l’intelligence montre à quel point on ne maîtrise pas les raisons qui font que les météorites s’accumulent en certains endroits et pas dans d’autres. « En plus de la glace, la géologie locale, donc la configuration des montagnes cachées sous la glace, a certainement une influence. Mais comme il n’existe pas de données sur celles-ci, il n’est pas possible d’améliorer actuellement le modèle de la carte aux trésors », conclut-elle.