D’ici 2050, l’aire de distribution pour l’ensemble des grands singes africains pourrait être amputée de 85% à 94%. Ce résultat très interpellant est le fruit d’une recherche internationale à laquelle l’université de Liège a participé. Des données collectées par Barbara Haurez, chercheuse au Laboratoire d’Agroécologie Tropicale, durant sa thèse de doctorat, ont été utilisées pour alimenter les modèles prédictifs utilisés dans cette étude de grande ampleur.
Menace d’extinction imminente
Toutes les espèces de grands singes africains, sans exception, sont actuellement classées “En danger” ou “En danger critique” d’extinction sur la Liste rouge de l’UICN des espèces menacées.
Au cours de ces 30 dernières années, leurs conditions environnementales se sont fortement dégradées, les rendant moins appropriées à leur survie. D’importantes pertes de population de singes ont été causées par des épidémies infectieuses et des activités humaines. Et le désastre risque de se poursuivre. En effet, de nombreux singes africains vivent dans des zones propices à l’expansion agricole et 58,7 % des concessions de palmiers à huile chevauchent actuellement les aires de répartition des grands singes africains.
« De nombreux primates sont menacés d’extinction imminente, en raison de la perte et de la fragmentation extensives de leurs habitats, du changement d’utilisation des terres et de la chasse. Mais aussi, à cause d’effets indirects liés à la croissance et au commerce mondiaux des produits de base. Le changement climatique est un moteur délocalisé et multiforme à ajouter à la liste. Il expose de nombreuses espèces, en particulier les primates forestiers, à des conditions climatiques inadaptées », indiquent les chercheurs.
Un profond déclin annoncé des aires de distribution
Jusqu’alors les recherches s’étaient concentrées sur la modélisation des seuls effets du changement climatique sur la distribution future des grands singes. La nouvelle étude va plus loin. Et ce, en intégrant deux autres paramètres majeurs : les changements d’affectation des terres et l’augmentation de la démographie humaine.
Sous leurs influences, l’aire de distribution des grands singes va être bouleversée. « En moyenne, pour tous les grands singes africains, une diminution de l’aire de répartition de 85 % devrait se produire dans toutes les régions d’étude dans le meilleur scénario ; et de 94 % dans le pire scénario », notent les chercheurs.
Pertes et gains à différentes échelles de temps
Mais il n’y aura pas que des pertes d’habitats. En effet, des régions pourraient devenir accessibles aux grands singes. Notamment celles en altitudes, où le climat leur deviendrait plus propice. « Ces gains de répartition pourraient aller de 66 %, dans le meilleur scénario, à 21 %, dans le pire scénario, dans les régions d’étude. »
A noter toutefois qu’il faudra longtemps aux primates pour être en mesure d’occuper ces nouvelles zones. « En effet, leurs capacités de dispersion sont relativement limitées de par leur reproduction lente, leurs faibles densités de population, leurs contraintes écologiques et leur mauvaise thermorégulation. »
Ainsi, si un déplacement de populations vers des zones de plus haute altitude est à prévoir, « celui-ci ne compensera nullement les réductions massives d’habitat et de populations attendues d’ici 2050 », expliquent les chercheurs.
Redessiner les aires protégées
Et d’ajouter, « le réseau actuel d’aires protégées africaines sera probablement insuffisant pour préserver les habitats appropriés et maintenir les populations de grands singes connectées. »
Améliorer l’efficacité des efforts de conservation à l’intérieur et à l’extérieur des aires protégées ainsi que la connectivité des habitats permettrait aux singes de se disperser vers de nouvelles zones au climat adapté et favoriserait la survie des populations de singes à long terme.
Enfin, « les planificateurs de la conservation doivent intégrer de toute urgence la planification de l’utilisation des terres et les mesures d’atténuation du changement climatique à tous les niveaux de prise de décision, tant dans les pays de l’aire de répartition des grands singes qu’à l’étranger », concluent les chercheurs.