«Après la Seconde Guerre mondiale, et avec la décolonisation, le rôle de l’archéologie et des patrimoines archéologiques a quelque peu changé», souligne l’historien et archéologue Didier Viviers dans son essai «Usages et enjeux des patrimoines archéologiques», paru dans la collection «L’Académie en poche».
«En devenant une science à part entière et un savoir-faire à haute valeur ajoutée en matière culturelle et économique, l’archéologie fait désormais partie du lot des technologies dont l’exportation constitue une part importante du soft power des États modernes. Et singulièrement dans la tradition française. La France est en effet bien connue pour inscrire l’étude des patrimoines et leur mise en valeur dans une diplomatie scientifique et culturelle particulièrement active.»
L’après-pétrole
Le Secrétaire perpétuel de l’Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique se réfère souvent au «soft power», la «puissance douce» capable d’influencer et de persuader.
Inauguré en 2017, le Louvre Abu Dhabi illustre ce concept développé en 1990 par Joe Nye, professeur de Relations internationales à Harvard University. Ce «Louvre des Sables» résulte d’un accord signé entre les Émirats Arabes Unis et la France. De la volonté des Émirats de se reconvertir dans le tourisme et la culture pour faire face à l’après-pétrole. L’Arabie saoudite se rapproche aussi de la France pour réaliser sa reconversion économique. Au cœur des accords, la mise en valeur des ruines nabatéennes d’Al-Ula. En 2018, la présentation des collections perses du Louvre à Téhéran accompagne le rapprochement entre la France et le pouvoir iranien…
Le professeur d’histoire et d’archéologie à l’Université Libre de Bruxelles (ULB) rappelle que la France est l’un des rares États à avoir développé, immédiatement après la Première Guerre mondiale, un réseau très actif d’instituts de recherches implantés à l’étranger. Sous la tutelle du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères qui soutient les programmes d’archéologie extraterritoriale. En 2017, 149 projets ont été financés pour poursuivre l’engagement en faveur des pays en crise: Irak, Territoires palestiniens, Syrie. Pour promouvoir de nouveaux projets. Au Cambodge, Zimbabwe, Soudan. En Croatie et dans les Territoires palestiniens.
Le pari risqué du soft power à court terme
«Si la volonté d’Emmanuel Macron de replacer la culture au centre de la construction européenne peut séduire à plus d’un titre, sa proposition de prêter la tapisserie de Bayeux à la Grande-Bretagne d’ici 2022, en dépit de la fragilité de ce joyau de l’art du XIe siècle, et plus encore, sa volonté d’organiser une exposition itinérante qui comprendrait les grands chefs-d’œuvre emblématiques de la culture européenne, inquiètent», relève le fondateur du Centre de Recherches en Archéologie et Patrimoine de l’ULB (CReA-Patrimoine).
«Outre le problème délicat des critères qui définissent un patrimoine européen, c’est surtout la conservation des œuvres elles-mêmes qui pourrait être menacée. Posant ainsi la question des choix à défendre. Le soft power à court terme ou la durabilité même du patrimoine ainsi réquisitionné? À tout le moins, cet usage de l’archéologie, et du patrimoine en général, n’est pas exempt de risques.»
Le pillage d’Apamée
Écrit en 2018, année européenne du patrimoine culturel, ce petit livre fait réfléchir sur la nature et la valeur des patrimoines archéologiques. Il constitue la première partie d’un diptyque qui abordera les usages, les enjeux et les destructions des patrimoines archéologiques. Notamment en Syrie où des monuments prestigieux sont dynamités. Des sites archéologiques pillés comme Apamée.
Occupé dès le Paléolithique moyen, ce site est exploré par des archéologues belges depuis 1928. En collaboration avec d’autres centres de recherches, le CReA-Patrimoine est impliqué, depuis 2001, dans les fouilles financées par le Fonds de la Recherche Scientifique (FRS-FNRS), la Fédération Wallonie-Bruxelles et la Faculté de Philosophie et Sciences sociales de l’ULB. Dirigées par Didier Viviers jusqu’à l’embrasement de la région.
Les découvertes de la mission belge à Apamée forment le noyau central de la collection romaine des Musées royaux d’art et d’histoire à Bruxelles, au Cinquantenaire.