La santé des sols se lit dans le nombre de vers de terre par mètre carré de parcelle. Les dénombrer relève de la biosurveillance. A la ferme Stassart, située dans la commune d’Ouffet, un atelier a récemment été mis sur pied par PROTECT’eau à destination des agriculteurs. Ceux-ci ont appris à prendre le pouls de leur terrain en quelques coups de bêche. Et ont été sensibilisé aux rôles écosystémiques essentiels joués par ces invertébrés encore trop méconnus. Sans eux, la productivité des plantes faiblirait.
Quelques coups de bêche révèlent la qualité du sol
« Un protocole a été réalisé par l’Université de Rennes afin d’étudier facilement et gratuitement le nombre de vers de terre par m² », explique l’équipe de PROTECT’eau, une ASBL donnant des conseils techniques et de sensibilisation pour préserver la qualité de l’eau des risques liés à l’utilisation d’engrais et de pesticides.
En pratique, il faut chausser ses bottes et saisir une bêche. En différents endroits de la parcelle, il convient de prélever des blocs de terre de 20 cm de côté, et de 25 cm de profondeur, et de les déposer sur une bâche. Avec minutie, ceux-ci sont émiettés et les vers de terre rencontrés placés dans un récipient avec un fond d’eau. Ces invertébrés sont comptés dans chaque bloc de terre, et une moyenne est calculée sur l’ensemble des prélèvements.
« Ce nombre est ensuite multiplié par 25 afin d’obtenir le nombre de vers de terre par m² de parcelle et évaluer l’abondance totale de vers de terre. »
Si l’on dénombre moins de 150 vers de terre par m², cela équivaut à une abondance faible, et donc à une mauvaise qualité de sol. Entre 150 et 300 individus, l’abondance est considérée comme moyenne ; et élevée au-delà de 300 vers de terre par mètre carré.
Des galeries indispensables
Si un nombre élevé de vers de terre rime avec bonne qualité de sol, c’est grâce à leur inestimable travail sous-terrain.
« En creusant des galeries dans le sol et en rejetant des déjections (sous forme de turricules, NDLR), les vers de terre créent de nombreuses petites galeries constituant autant d’espaces vides dans le sol. Ces porosités représentent une véritable aubaine pour le développement racinaire des plantes », explique l’équipe de PROTECT’eau.
Les vers de terre réalisent une activité de bioturbation, c’est-à-dire qu’ils modifient la structure du sol, en particulier sa porosité et son agrégation. Et ce, à différentes échelles. De par leurs très fines galeries d’un diamètre inférieur à 0,006 mm de diamètre, ils créent une microporosité, améliorant la rétention en eau dans le sol. Et grâce à leurs galeries plus grosses, jusqu’à un peu plus d’un centimètre de diamètre, créent aussi de la macroporosité, favorisant l’infiltration de l’eau, la pénétration des racines et l’aération du sol.
« En outre, un nombre élevé de vers de terre dans le sol contribue à améliorer le taux d’humus et le recyclage des matières organiques. »
En effet, ces invertébrés (avec, entre autres, les champignons, les bactéries, et autre collemboles) font partie de la chaîne trophique souterraine décomposant la matière organique et la rendant disponible pour la croissance des plantes.
Les sols tempérés hébergent 30 fois plus de vers de terre que les sols tropicaux
Les vers de terre étant des animaux clés des communautés écologiques du sol, remplissant des fonctions vitales dans la décomposition et le cycle des nutriments dans les écosystèmes, ils suscitent l’intérêt de biologistes de par le monde.
En 2019, est paru le premier recensement mondial de vers de terre. Il est exprimé en 3 cartographies exprimant la diversité, l’abondance et la biomasse des vers de terre. Et est le fruit de la compilation des travaux menés sur 9212 sites dans 57 pays par 141 chercheurs émanant de 35 pays, dont la Belgique via la KULeuven et l’UGent.
La surprise fut de taille. Quand il s’agit de la vie au-dessus du sol, les tropiques ont la plus grande biodiversité. Mais concernant les vers de terre, « nous avons constaté que la diversité et l’abondance des espèces locales culminaient généralement aux latitudes moyennes », expliquent les auteurs.
Les zones tempérées, comme l’Europe, hébergent donc davantage d’espèces de vers de terre, mais également plus de vers de terre dans l’ensemble. Selon le modèle, l’abondance typique des communautés locales de vers de terre a été estimée, en moyenne, à 5 individus par m 2 sous les tropiques, et à plus de 150 individus par m² en zone tempérée.
Par contre, c’est sous les tropiques que la biomasse en vers de terre est la plus importante. Les individus y sont beaucoup plus gros que dans les zones tempérées.
Le changement climatique impactera la vie souterraine
Cette analyse mondiale a également révélé un lien étroit entre climat et communautés de vers de terre. Les précipitations constituent le principal facteur de diversité et de biomasse, tandis que la température est le principal facteur d’abondance.
Alors que les changements climatiques vont marquer les prochaines décennies, des variations de température et de précipitations impacteront la diversité et la distribution des vers de terre. Mais aussi les précieuses fonctions écosystémiques (productivité des plantes, infiltration d’eau et séquestration du carbone dans le sol, etc.) qu’ils fournissent. C’est pourquoi de nombreux scientifiques appellent à de vastes et urgentes campagnes de protection de ces alliés sous-terrain.