Les insectes sont essentiels à la survie et au maintien de nombreux écosystèmes. Ils figurent aussi parmi les groupes d’animaux les plus touchés par le changement climatique. Dans un article très documenté, 70 scientifiques alertent sur les effets délétères de l’augmentation progressive de la température à la surface du globe ainsi que de la fréquence et de la durée des événements extrêmes (vagues de chaleur , incendies, sécheresses, inondations). Pour tenter d’enrayer la décimation des insectes, et avec eux la disparition d’innombrables services écosystémiques, les chercheurs donnent plusieurs pistes d’actions impliquant pouvoirs publics et citoyens. Parmi les auteurs de cette publication, trois entomologistes de l’UCLouvain : Pr Hans Van Dyck, Dr Kévin Tougeron et Pr Thierry Hance.
Cascade trophique
Les insectes constituent la majeure partie du deuxième niveau trophique dans de nombreux écosystèmes. Globalement, ce deuxième niveau trophique comprend tous les herbivores : des petits organismes brouteurs d’algues aux grands mammifères végétaliens, en passant par la plupart des insectes et les rongeurs.
Dès lors, la diminution de l’abondance et de la biomasse des insectes actuelle et future aura des effets d’une grande portée sur les communautés qui en dépendent, directement ou indirectement, qu’elles soient à un niveau trophique inférieur (végétaux) ou supérieur (prédateurs primaires et secondaires).
Prenons les oiseaux, « le grand nombre d’insectes pendant la saison de nidification est un élément crucial du régime alimentaire des oisillons. Une baisse de la disponibilité des insectes peut réduire gravement la survie et la forme physique de ceux-ci. »
Garants de la sécurité alimentaire
« De même, des pertes de biomasse pouvant atteindre 80 % chez des taxons d’insectes pollinisateurs importants auront inévitablement des conséquences perturbatrices. De quoi provoquer le déclin des plantes à fleurs et l’érosion des réseaux alimentaires terrestres. Notamment ceux nourrissant les humains. »
En effet, les insectes assurent la pollinisation de plus de 75 % des espèces végétales cultivées dans le monde (84 % en Europe). La valeur annuelle des cultures dépendant directement des pollinisateurs à l’échelle mondiale est ainsi estimée entre 200 et 500 milliards d’euros. Et si ces pollinisateurs disparaissaient? Il n’y aurait quasiment plus de fruits et de légumes dans notre assiette. Adieu café, chocolat, oléagineux (colza, arachide, olives…), protéagineux (pois, fèves…) et fruits à coques. Seules subsisteraient des cultures particulières, comme celles de tomates, de blé, de maïs ou de riz, c’est-à-dire des cultures autogames (qui se pollinisent par elles-mêmes) ou anémogames (pollinisées par le vent).
« Il est clair que le changement climatique est néfaste pour les insectes, mais aussi pour les processus biologiques impliquant des insectes au niveau des individus, des populations, des communautés et des écosystèmes. Nous devons agir maintenant pour minimiser ces impacts ; nous savons comment le faire, mais la prise de décision et le financement nécessaire sont toujours repoussés à plus tard ou sur les épaules des générations futures », déplorent les scientifiques.
Refuges climatiques
Ils s’accordent à dire que, globalement, les insectes seront plus résilients au changement climatique s’ils sont constitués de communautés intactes vivant dans un milieu riche de diverses espèces végétales, lesquelles généreront un large panel de refuges microclimatiques différents.
Les microclimats peuvent être influencés par les propriétés du paysage. « Par exemple, les haies, les bois, la végétation semée et les bandes fleuries peuvent représenter des refuges microclimatiques pour l’agrobiodiversité face à des événements climatiques extrêmes. Les rôles de brise-vent et d’antigel des haies ont été largement étudiés et confirmés dans les paysages agricoles. De même, la diversification des cultures au niveau des champs et les cultures de couverture se sont avérées prometteuses. »
Garantir l’accès à des refuges climatiques par des corridors de dispersion potentiels serait bénéfique à la diversité des insectes.
« De plus, le rôle des ingénieurs écosystémiques mammifères (par exemple, les castors, créateurs de zones humides, NDLR), qui peuvent influencer de manière assez spectaculaire la structure et la composition des habitats, peut également générer des refuges localisés qui profitent aux insectes pendant les épisodes climatiques extrêmes (sécheresse, incendie, tempête, inondation, etc.). De la sorte, les stratégies de gestion qui donnent la priorité à la conservation des grands vertébrés profiteront aux organismes plus petits, y compris les insectes », explique le panel de chercheurs.
Signer la fin de l’agriculture industrielle
L’agriculture industrielle dans sa forme actuelle n’est pas viable. « La transformation de l’agriculture industrielle vers l’agroécologie permet d’apporter une diversité structurelle dans le paysage qui peut conduire à une meilleure résilience des communautés d’insectes. » Et ainsi, favoriser leur diversité et les services écosystémiques qu’ils fournissent, notamment, la régulation naturelle des ravageurs de cultures.
« Il a été démontré sans équivoque que l’intensification écologique (soit l’amélioration du rendement des cultures agricoles grâce à l’amélioration de la biodiversité) profite à la fois au rendement agricole et à la diversité. Ce concept, générateur d’habitats et de refuges, devrait être étendu et intégré dans notre aménagement paysager et urbain : bas-côtés des routes, espaces verts publics, jardins locaux. »
« La répartition actuelle entre les terres dédiées aux réserves naturelles et celles affectées à la production agricole ou au développement urbain est totalement déséquilibrée. Or, notre planète ne peut plus se permettre de perdre davantage d’habitats vierges. Les zones naturelles existantes doivent être strictement préservées. »
Le pouvoir du jardin aux herbes folles
Bien que les actions ayant le plus d’impact sont celles qui devraient être mises en œuvre par les institutions dirigeantes, les décisions prises à l’échelle individuelle peuvent faire une grande différence. Jardins privés, balcons, voire même rebords de fenêtre sont autant de lieux où chacun peut agir et avoir un impact de taille.
Quatre ingrédients sont essentiels à la survie des insectes face aux événements climatiques extrêmes : des refuges microclimatiques adaptés, l’accès à une source d’eau, une alimentation suffisante et une totale absence de pesticides.
Or, dans de nombreux jardins urbains organisés de manière ordonnée, ces exigences primaires des insectes pour leur reproduction et leur survie ne sont pas satisfaites.
Pour favoriser la survie des insectes, fini le gazon coupé court et au cordeau. « Les pelouses traditionnellement bien entretenues doivent être réduites au minimum. »
« Un mélange très diversifié de plantes indigènes constitue l’habitat le plus hétérogène et favorise la plus grande diversité d’interactions. Elles répondent aux besoins les plus importants en matière de microclimat, de sources d’humidité et de nutriments. Le fauchage doit être limité, voire évité, jusqu’à la fin de la saison de floraison et donc du pic d’abondance des insectes. »
Une coupelle d’eau, une mare même modeste, feront toute la différence.
« Le matériel végétal laissé sur place, comme la litière de feuilles, la biomasse sénescente sur pied et un tas de compost sont d’autres microrefuges potentiels qui peuvent faire la différence pour aider à la sauvegarde des insectes. Et par la même occasion protéger et fertiliser le sol», concluent les scientifiques.