Le bilan de l’effroyable tuerie survenue mercredi 7 janvier 2015 à Paris, dans les locaux du journal satirique Charlie Hebdo, donne froid dans le dos. Dans un pays démocratique, champion des Droits de l’Homme, où la liberté d’expression est consacrée depuis 1789, les journalistes ne sont pas davantage à l’abri d’une mort violente du fait de l’exercice de cette liberté que dans les zones les plus instables de la planète.
La condamnation de cette tuerie est unanime. C’est un jour noir pour la liberté d’expression, pour la liberté de la presse, toutes tendances confondues, y compris dans ce qu’elle peut avoir de plus caustique.
118 journalistes tués en 2014
Le cauchemar parisien nous touche par son horreur, sa proximité. Il ne doit pas nous faire oublier qu’en 2014, ce sont 118 journalistes et professionnels des médias qui ont été tués dans le monde, dans l’exercice de leur travail. « Des victimes d’attaques ciblées, à la bombe ou par des tirs croisés dans l’exercice de leur travail », précise la Fédération Internationale des Journalistes (FIJ). 118 professionnels des médias en 2014, ce sont 13 victimes de plus qu’en 2013, précisait, voici une semaine à peine, la FIJ.
Et la Fédération de préciser qu’en Europe, neuf journalistes ont été tués en 2014, pour trois en 2013. « Principalement en Ukraine, un pays en guerre », souligne Ricardo Gutierrez, Secrétaire général de la Fédération Européenne des Journalistes.
« Il est temps d’agir, face aux menaces sans précédent contre les journalistes qui sont visés, non pas seulement pour interdire la libre circulation de l’information, mais également afin de servir de leviers en vue d’obtenir des rançons considérables et des concessions politiques en utilisant une violence extrême », indiquait fin décembre le président de la FIJ, Jim Boumelha, faisant notamment référence aux décapitations publiques de journalistes par l’Etat islamique.
La Politique et les Droits de l’Homme, des secteurs “à risques”
Quels sont les motifs qui mènent au meurtre de journalistes ? Ce sont principalement pour des raisons politiques, souligne le CPJ (« Committee to Protect Journalists »).
En 2014, 69% des journalistes tués dans le cadre de leur métier couvraient l’information politique, indique cette plateforme. 59% l’ont été alors qu’ils couvraient un conflit armé, 54% parce qu’ils s’intéressaient à la problématique des Droits de l’Homme. A noter encore, 15% des journalistes tués enquêtaient sur des faits de corruption et 16% sur des affaires criminelles.
Le total de ces chiffres dépasse largement 100%. Ceci s’explique par le fait que certains meurtres de journalistes relèvent de plusieurs catégories.
Cesser de dénigrer le métier de journaliste
« Le drame de Paris doit aussi amener les autorités et l’ensemble des citoyens à réfléchir à la place des journalistes dans notre société », estime Ricardo Gutierrez. « Ce métier se porte mal », souligne-t-il. « En termes de sécurité notamment ».
Cela procède à ses yeux de la déconsidération ambiante dont les journalistes font l’objet ces dernières années. « Il faut que ces critiques cessent », dit-il. « Que cette banalisation de la critique « gratuite » cesse. Les journalistes sont un des maillons indispensables de nos démocraties. Les dénigrer et banaliser ce dénigrement ne peut que conduire certains à des actes extrêmes ».
En mai dernier, l’Assemblée générale des Nations Unies a condamné sans équivoque toutes les attaques et violences contre les journalistes et le personnel des médias.
« Les gouvernements et tous les organismes et personnalités influentes doivent réagir en protégeant les journalistes et autres professionnels des médias. Les Nations Unies (ONU) sont prêtes à jouer leur rôle. Les organismes des Nations Unies coopèrent déjà entre eux, et avec d’autres partenaires, sous la direction de l’UNESCO afin de créer un environnement libre et sûr pour les journalistes et les professionnels des médias du monde entier », indiquaient Ban Ki-moon, Secrétaire général de l’ONU, et Irina Bokova, Directrice générale de l’UNESCO, à l’occasion de la journée de la liberté de la presse, le 3 mai 2014.
Impunité des meurtriers
L’urgence est aussi ailleurs. Si les chiffres des victimes dénombrées chaque année dans les rangs de la presse varient suivant les nomenclatures retenues par les diverses associations actives dans ce domaine, comme la Fédération Internationale des journalistes, Reporters sans frontières, le « Comittee to Protect Journalists », une autre dimension de cette problématique est également inquiétante: l’impunité dont semblent bénéficier les meurtriers.
Quelle que soit la manière de compter les victimes dans le rang des médias, le Guardian rappelait l’automne dernier que 90% des meurtriers de journalistes dans le monde restaient impunis.