Fruit d’un travail de plus de 20 ans, réalisé par 71 contributrices et contributeurs de tous horizons, l’«Encyclopédie d’histoire des femmes» est éditée chez Racine. Sous la direction des historiennes Éliane Gubin et Catherine Jacques (ULB). Avec la collaboration de l’historienne Claudine Marissal attachée au Carhif, un centre de recherches et d’archives spécialisé dans l’histoire des femmes et du mouvement féminin.
Pas de compte en banque sans l’accord du mari
«La réalité des conditions féminines en Belgique, de l’indépendance de 1830 à nos jours, mais aussi les tentatives pour y remédier, ou les maintenir, forment l’essentiel de ce volume», expliquent les historiennes. «Il entend créer une brèche dans l’amnésie sur le passé des femmes. Une constante qui, il faut bien le reconnaître, a toujours occulté les luttes et les étapes pour l’autonomie et l’émancipation des femmes. Qui se souvient encore que jusqu’en 1976, la femme mariée ne pouvait pas ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de son mari?»
Avec ses 165 articles, le livre scrute le passé. Invite à réfléchir aux acquis. En regrettant que l’égalité piétine toujours dans certains domaines.
«Il ne suffit pas de le dire, encore faut-il s’attaquer à une forte indifférence. Diffuser le plus largement possible cette histoire. L’intégrer aux connaissances de tous et de toutes pour empêcher que ne resurgissent les inégalités sous de nouveaux habits.»
À travail égal, salaire égal
Le 16 février 1966, à Herstal, dans la province de Liège, 3.000 ouvrières arrêtent le travail à la Fabrique nationale d’armes de guerre (FN). L’historienne Marie-Thérèse Coenen (Carhif) raconte cette lutte aux cris de «À travail égal, salaire égal».
«Alors que l’article 119 du Traité de Rome de 1957 oblige les 6 pays membres de la Communauté économique européenne à respecter, dans un délai de 5 ans, le principe de l’égalité salariale entre hommes et femmes pour un même travail, l’égalité effective n’est toujours pas atteinte en 1966.»
Les mouvements féminins sont solidaires de la grève à la FN. Comme les travailleuses qui arrêtent le travail dans d’autres entreprises de la région. Ce n’est que le 4 mai que les négociations avec la direction aboutissent à une augmentation salariale, moindre que celle revendiquée. La majorité des ouvrières se prononce pour la reprise du travail.
«Au-delà de la revendication salariale, la grève de la FN oblige le mouvement syndical à repenser la place des travailleuses dans l’action syndicale. Et la participation des femmes dans les structures.»
Des femmes à l’université
En 1875, pour la première fois, le Parlement débat de l’accès des femmes à l’université. «Le projet de loi du gouvernement catholique n’envisage pas la possibilité pour les filles de s’inscrire, mais des voix s’élèvent à la Chambre, dans les rangs de l’opposition libérale, pour réclamer leur admission aux études de médecine et de pharmacie», relate la Pre honoraire Éliane Gubin. «Sollicitées par le gouvernement, les universités et l’Académie royale de médecine sont partagées, l’Université de Liège étant la seule à soutenir la proposition. Les réticences sont d’ordre scientifique mais aussi disciplinaire. Comment envisager des cours communs à une époque où réunir des jeunes gens et des jeunes filles dans un même auditoire apparaît comme profondément immoral?»
À la rentrée d’octobre 1880, 3 étudiantes entrent à l’Université libre de Bruxelles. L’année suivante, quelques filles s’inscrivent aux universités de Liège et de Gand. Ce n’est qu’en 1920 que l’Université catholique de Louvain ouvre ses portes aux étudiantes.
La crise lèse les femmes
Après la Seconde Guerre mondiale, les étudiantes sont de plus en plus nombreuses à suivre des cours dans les universités. «Pourtant, les stéréotypes restent vivaces», souligne Éliane Gubin. «On peut lire dans le Guide de l’enseignement supérieur, publié en 1963 par le ministère de l’Éducation nationale et de la Culture, que s’il n’existe pas de carrières spécifiquement féminines pour les diplômées universitaires, les filles ont cependant intérêt à se diriger vers des carrières sédentaires, l’enseignement, le travail de bureau, la pharmacie…»
«En 2016, 49% des professeurs d’université et d’établissements d’enseignement supérieur sont des femmes. Mais parmi les enseignants et les chercheurs d’université, dès que l’on s’élève dans la hiérarchie, la proportion de femmes diminue. Quant à l’accès au titre de professeur ordinaire, il témoigne toujours d’un plafond de verre. La crise actuelle que traversent les universités et la concurrence entre diplômés de plus en plus nombreux pour y faire carrière n’ont nullement atténué ces écarts. Au contraire.»