Il y a 400 ans, les Liégeoises entendaient s’affranchir de la tutelle de leur mari

8 mars 2022
par Camille Stassart
Durée de lecture : 5 min

Les épouses et veuves liégeoises des 16e et 17e siècles, étaient-elles plus libres que les autres ? C’est en substance ce que cherche à savoir Marie-Sophie Silan dans le cadre de sa thèse à la Faculté de Droit, de Science politique et de Criminologie de l’ULiège. Une hypothèse répandue parmi les historiens est que la période des Temps modernes (du 15e  au 18e siècle) a été défavorable pour les droits et libertés des femmes. Mais en épluchant les contrats de mariage et testaments conservés aux Archives de l’État à Liège, la doctorante a découvert que les femmes de l’époque étaient plus indépendantes que l’on ne le soupçonne.

Le droit romain, responsable du recul de la condition féminine ?

« Plusieurs études montrent que le passage du Moyen Age à la Renaissance, puis aux Temps modernes, est synonyme de recul pour la condition juridique des femmes. Beaucoup d’historiens du droit attribuent cette dégradation, à l’Epoque moderne, à la réinstauration du droit romain dans plusieurs régions d’Europe », informe Marie-Sophie Silan.

Le droit romain est redécouvert quelques siècles après la chute de l’Empire, ce qui influencera grandement le développement de la science du droit en Occident. « Ma thèse vise à déterminer si sa réception a exercé une influence négative sur les droits des femmes. Et si c’est le cas, comment. Pour cela, j’étudie la condition juridique des femmes mariées et des veuves de la principauté épiscopale de Liège au 16e et 17e siècles », explique l’aspirante FNRS à l’unité de recherche Cité.

Pour rappel, l’ancienne Principauté de Liège, née en 985 et disparue en 1795 lors de son annexion à la France, comprenait un large territoire qui s’étendait sur les deux-tiers de la Wallonie actuelle. « Encore très peu étudié, cet Etat avait un droit absolument remarquable dans le paysage européen. Il se démarquait notamment par un régime matrimonial totalement unique : la mainplévie. »

L’épouse, première héritière du mari

Les lois et conventions qui règlent les rapports patrimoniaux entre époux dans la Principauté de Liège étaient extrêmement désavantageuses pour les femmes. « Techniquement, l’épouse ne disposait de rien et le mari faisait ce qu’il voulait de leurs biens et patrimoines », indique la chercheuse. « Toutefois, au décès de l’un des conjoints, le survivant récupérait l’ensemble des biens et patrimoines, à condition que le couple n’ait pas d’enfants ou qu’ils soient morts avant l’âge de 15 ans », ajoute-t-elle.

Les veuves avaient donc le droit de réclamer la propriété du capital du ménage (incluant donc celui de son époux) et de le gérer comme bon lui semblait. En revanche, en cas de remariage, ces biens et patrimoines passaient aux mains du nouveau mari. Ce qui ne faisait ni les affaires de la veuve, ni de la famille du premier mari.

Afin de déroger à la loi, des contrats de mariage étaient conclus. « Ils permettaient d’éviter que les femmes deviennent totalement incapables le temps du mariage, mais aussi d’empêcher que les biens et patrimoines appartiennent à un second mari. En analysant ces documents, je tente de déterminer la façon dont évoluent les rapports entre époux dans la gestion des biens du ménage au cours de la période étudiée. »

En parallèle, l’étude de testaments rédigés par des veuves permet de déterminer le capital qu’elles détenaient à la fin de leur vie, et à qui elles décidaient de le léguer.

Les droits des femmes, une histoire en montagne russe

Les résultats préliminaires de l’étude montrent qu’il existait, dans la première moitié du 16e siècle, une certaine égalité entre conjoints dans la pratique juridique. « Quand on parcourt ces documents, on voit à quel point les épouses étaient actives dans l’administration de leurs biens. Surtout quand elles devenaient veuves. Elles acquièrent alors une indépendance et une autonomie juridique qu’elles n’ont jamais connue. »

« On constate aussi qu’elles entendaient défendre leurs intérêts économiques. En cas de remariage, elles savaient qu’elles allaient retomber sous l’autorité du nouvel époux, et les contrats de mariage démontrent qu’elles n’étaient pas disposées à se laisser faire ! La suite de mon étude déterminera si ce rapport entre époux change d’ici la fin du 17e siècle en raison, notamment, de l’influence du droit romain.»

Ces premières conclusions remettent en question les préjugés que l’on peut avoir sur les femmes de l’époque. Elles confirment aussi les résultats d’études menées depuis les années 70 dans le champ de l’Histoire des femmes : « On sait que les femmes du passé étaient plus indépendantes et actives qu’on ne le pensait. L’évolution de leurs rôles dans la société et l’acquisition de leurs droits n’a pas été en ligne montante, comme on a encore tendance à le croire aujourd’hui. Cela s’apparente davantage à des montagnes russes. Et il est nécessaire que ce constat se diffuse aujourd’hui dans l’enseignement et dans la société », conclut Marie-Sophie Silan.

Contrat de mariage du début du 16e siècle – AÉL, C.T., Vol. 25, n°3326, Convenances entre Johan de Meers et Jehenne de Herve – Première page – Cliquer pour agrandir

 

Contrat de mariage du début du 16e siècle – AÉL, C.T., Vol. 25, n°3326, Convenances entre Johan de Meers et Jehenne de Herve – Deuxième page – Cliquer pour agrandir

 

Contrat de mariage du début du 16e siècle – AÉL, C.T., Vol. 25, n°3326, Convenances entre Johan de Meers et Jehenne de Herve – Dernière page – Cliquer pour agrandir
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