Photo de classe 1926
photo de classe 1926 © D.R. /CC

Le bilinguisme scolaire précoce : une bonne idée !

8 avril 2014
par Elise Dubuisson
Durée de lecture : 6 min

Si nombreux sont ceux qui sont convaincus de l’intérêt du bilinguisme précoce, nombreux sont également ceux qui craignent que l’immersion scolaire précoce dans une seconde langue retarde l’apprentissage…

 

À tort, indiquent les résultats de Martine Poncelet, responsable de l’Unité de Neuropsychologie du Langage et des Apprentissages à l’Université de Liège. Trois études menées auprès d’enfants en immersion scolaire français-anglais par la chercheuse et son équipe battent en effet en brèche cette idée.

 

Au minimum 50% de temps scolaire dans la seconde langue

 

Par immersion bilingue scolaire précoce, comprenez l’apprentissage d’une seconde langue dès la 3ème maternelle dans le système belge. Il faut que la seconde langue occupe au minimum 50% du temps scolaire, le temps restant étant occupé par la langue maternelle.

 

« La seconde langue doit donc être parlée en classe 50 à 75% du temps pour que l’enseignement puisse être considéré comme immersif. Et il ne s’agit pas de cours de seconde langue mais de cours donnés en seconde langue », explique Martine Poncelet. Autre élément important, l’enseignant de la seconde langue doit en principe être un locuteur natif de cette langue.

 

Aucune influence sur l’acquisition du français

 

La première étude que la chercheuse a menée sur le sujet concernait la crainte première des parents : l’acquisition du français. Les enfants qui apprennent deux langues en même temps ne le font-il pas au détriment d’une bonne connaissance du français ? « Pour vérifier cette hypothèse, nous avons réalisé des tests de lecture et des dictées auprès d’enfants de la 2ème à la 6ème primaire suivant un enseignement bilingue depuis la 3ème maternelle. Ceux-ci avaient d’abord appris à lire en anglais et ensuite en français. »

 

Conclusion : dès la 3ème primaire, les enfants immergés ont une très bonne maîtrise de la lecture et de l’écriture en français. Et Martine Poncelet n’avait pas cherché la facilité, se trouvaient dans la dictée des sons qui se prononcent de la même manière en français et en anglais mais qui s’écrivent différemment (le « i » français et le « ee » ou le « e » anglais, par exemple).

Seconde bonne nouvelle : en 6ème primaire, les enfants en immersion bilingue ont exactement le même niveau que des enfants étudiant dans le système classique.

 

Quid du développement cognitif ?

 

Curieuse de ce qui se fait ailleurs en matière de bilinguisme, Martine Poncelet s’est intéressée de près aux travaux d’Ellen Bialystok, chercheuse canadienne à la York University de Toronto.

 

« Ses recherches menées dans les années 80 et 90 montrent que le bilinguisme a un impact plutôt positif sur le développement cognitif. Les personnes bilingues auraient de meilleures capacités attentionnelles et de meilleures fonctions exécutives ; c’est-à-dire, la capacité de planifier, d’établir les différentes étapes requises pour atteindre un but précis ou encore se focaliser sur un objectif afin de l’atteindre plus rapidement et efficacement ».

« En est-il de même chez les enfants qui suivent un enseignement en immersion ? C’est ce que nous avons voulu savoir avec ma collègue Anne-Catherine Nicolay, maître de conférence au département de Psychologie. Pour ce faire, nous avons testé ces facultés chez des enfants de 3ème primaire ».

 

Plusieurs exercices leur ont été demandés :

 

  • Un exercice d’attention sélective (l’enfant est-il capable de se focaliser sur un type d’information précise ?) : l’enfant entendait le cri d’une chouette, tantôt dans une tonalité grave, tantôt dans une tonalité aiguë. Dès que l’enfant entendait une irrégularité dans la séquence sonore, il devait appuyer sur un bouton.
  •  Un exercice d’attention divisée (l’enfant est-il capable de traiter deux types d’informations en même temps ?) : l’exercice de base était le même que celui ci-dessus mais avec une contrainte en plus ! L’enfant devait aussi appuyer sur le bouton lorsque la chouette qui apparaissait à l’écran fermait les yeux.
  •  Un exercice de flexibilité mentale (l’enfant passe-t-il facilement du traitement d’un type d’information à un autre ?) : sur un écran, apparaissaient simultanément un dragon bleu et un dragon vert, l’un du côté gauche de l’écran, l’autre du côté droit. L’enfant devait appuyer alternativement sur le bouton du côté où apparaissait le dragon vert puis à l’essai suivant, du côté où apparaissait le dragon bleu, sachant que l’un et l’autre dragon apparaissaient aléatoirement à gauche ou à droite de l’écran.

 

Résultat ? Les enfants immergés et monolingues obtenaient les mêmes résultats mais les premiers étaient plus rapides que les seconds. « Ils contrôlaient donc mieux la situation sur le plan cognitif. Reste que cet avantage n’est pas pérenne : avec l’âge cette différence s’amenuise pour finalement disparaître en 6ème primaire », indique Martine Poncelet.

« Nous ne pouvons encore expliquer avec certitude cette différence avec l’âge mais l’un de nos postulats est qu’en 3ème primaire la sollicitation cognitive due à l’immersion est très importante. Les enfants immergés développeraient dès lors plus rapidement certaines habiletés cognitives, que les enfants non immergés développeraient seulement par la suite, d’où une égalisation des performances des deux groupes à ce moment-là. »

 

L’immersion bilingue accessible à tout le monde ?

 

La troisième piste de réflexion investiguée à Liège trouve son origine dans une question régulièrement posée par les parents : « Mon enfant est-il apte à suivre un enseignement en immersion ? »

 

Pour y répondre, Martine Poncelet et Anne-Catherine Nicolay ont mené une étude destinée à déterminer les habiletés cognitives et linguistiques sous-tendant les capacités d’apprentissage d’une seconde langue dans un contexte d’immersion scolaire.

 

« Nous avons analysé le niveau de français, le niveau d’anglais et le QI notamment. Première constatation intéressante : le QI d’un enfant ne va pas influencer spécifiquement ses résultats en immersion. Ce sont plutôt des facteurs comme la capacité à discriminer les sons, la mémoire verbale à court terme, la flexibilité mentale et la capacité d’attention sélective qui entrent en jeu. Si tous ces facteurs sont réunis, l’enfant apprendra deux langues en même temps assez facilement ».

 

« Ce qui ne signifie pas que les enfants qui sont moins doués pour ces tâches ne sont pas capables d’étudier en immersion. Il faut plutôt considérer ces résultats comme des pistes pour aider les enfants qui montreraient des difficultés dans un enseignement en immersion. »

 

Martine Poncelet est formelle : tous les enfants sont aptes à entrer en immersion précoce. « Tout comme tous les enfants sont aptes à aller à l’école, finalement. Certains réussissent avec beaucoup de facilité tandis que d’autres devront plus travailler, c’est pareil en immersion», conclut-elle.

 

 

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