Thormas Hertog © Christian Du Brulle

L’origine du temps, avec Thomas Hertog

8 mai 2023
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 4 minutes
“L’origine du temps”, par Thomas Hertog. Editions Odile Jacob. VP 24,99€, VN 19,99€

Dans son bureau du 6e étage de l’Institut de physique théorique de l’université de Louvain (KULeuven), le Pr Thomas Hertog bénéficie d’une vue dégagée. Malheureusement, le ciel est chargé et la pluie tombe. Les arbres qu’on devine au loin sont flous. Au mur, un tableau vert barbouillé de notes à la craie. Sur son bureau trône un exemplaire tout juste sorti de presse de son dernier livre, « L’origine du temps », publié aux éditions Odile Jacob. Le cosmologiste y a couché sur papier la dernière théorie de Stephen Hawking, dont il fut un des doctorants à l’université de Cambridge avant de devenir son ami, puis un collaborateur fidèle.

« Ma rencontre avec Stephen remonte à 1988, à la fin de mon master en mathématiques », lâche-t-il. « À Cambridge, il était de notoriété publique que le Pr Hawking invitait les meilleurs de la promotion à une interview. J’ai eu cette chance. Et celle d’avoir ensuite été invité par Hawking à faire un doctorat sous sa direction. »

Une autre conception de l’origine de l’Univers

« À l’époque, le design de l’Univers, le fait que l’Univers semblait presque avoir été fait pour que la vie y soit possible, était un des grands mystères qui intéressait Hawking. C’est autour de cette thématique que j’ai fait mon doctorat. Ensuite, j’y ai encore travaillé pendant une vingtaine d’années en sa compagnie, lors de mes multiples séjours à Cambridge. »

« Cette question du design de l’Univers, de l’éventualité d’un créateur, était bien sûr aussi philosophique. En Belgique, à l’Université de Louvain, Georges Lemaître avait montré avec sa théorie de l’atome primitif que l’Univers avait une origine. Mais il ne nous a pas donné le modèle qui expliquait cette origine. La physique de Lemaître n’était pas prête », estime-t-il.

Darwin à la rescousse

« Pour apporter une réponse, Stephen et moi avons donc développé une nouvelle théorie du Big Bang, une théorie d’inspiration darwinienne, pourrait-on dire. Cette théorie nous dit que si on remonte le temps, et qu’on va vers le Big Bang, on aperçoit comme une nouvelle couche d’évolution. Une couche plus profonde d’évolution où même les lois de la physique qu’on connaît et qui co-évoluent avec l’Univers sont elles-mêmes en développement.»

« On a toujours pensé que les lois de la physique étaient fondamentales, figées d’emblée, fixées. Quand Georges Lemaître a établi sa théorie de l’atome primitif, il ne pouvait pas étudier le Big Bang, mais il avait une intuition. Notre théorie est conforme aux prévisions de Lemaître. Elle est conforme à la manière dont il voyait les choses. L’évolution quasi darwinienne de la physique est au cœur de notre théorie.»

Ce sont donc les tout premiers moments de l’Univers, quelques infimes instants après le Big Bang, que Thomas Hertog explore dans son livre. Si on dresse un parallèle avec la biologie et l’évolution des êtres, cela semble inconcevable. On pourrait penser que ces fractions d’instants évoquées par le cosmologiste ne durent pas assez longtemps pour qu’il y ait évolution.

Une vision holographique 

« Ce qui compte pour cette évolution darwinienne de l’Univers primitif, c’est l’échelle des températures et non celle du temps qui passe », explique Thomas Hertog. « En biologie, l’évolution nécessite du temps, beaucoup de temps. En physique, ce qui compte, c’est l’échelle de l’énergie. Sa fluctuation. C’est exactement ce qu’on avait au début de l’Univers. Le résultat, c’est qu’on débouche ainsi sur une vision de l’origine de l’Univers qui n’est plus basée sur un design ou une vérité transcendantale, mais bien sur un processus évolutif. »

L’outil utilisé par les deux cosmologistes pour explorer cette théorie repose sur une sorte de vision holographique de la physique. « L’idée est que l’Univers est une sorte d’hologramme. Grâce à ce concept, la mécanique quantique, qui décrit l’infiniment petit, et la relativité générale d’Einstein, qui décrit la physique à l’échelle macro, peuvent travailler ensemble. L’une est un hologramme de l’autre », dit encore Thomas Hertog.

Le Big Bang, le passé du passé

« La réalité que nous percevons, avec le temps, la gravitation, la relativité est en quelque sorte une réalité qui est émergente d’une réalité purement quantique, mais qui est abstraite, contre-intuitive, et qui se présente comme une sorte d’hologramme. »

Remonter dans le temps à l’origine de l’Univers, et donc aussi du temps, est un voyage holographique qui devient dès lors de plus en plus flou. La dimension du temps qui émerge quand on va de plus en plus dans le passé devient floue. L’hologramme devient flou, il se vide. L’information n’est plus perceptible. Le Big Bang devient ainsi le passé du passé.

« Pour étudier le passé, les paléontologues cherchent des fossiles. En ce qui concerne nos travaux, nous disposons de très peu de fossiles de cette époque. L’holographie finit par nous donner une certaine génétique moléculaire. Et si nous remontons très loin dans le temps, à la fin, c’est la question même de l’origine qui disparaît ».

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