Canopée en Afrique Centrale © Julie Linchant / ULiège

A peine quelques familles expliqueraient la folle diversité d’arbres en Amérique latine

8 août 2022
par Camille Stassart
Durée de lecture : 5 min

Si les différences de richesse en espèces végétales entre les zones tempérées et tropicales ont été bien étudiées, celles entre les régions tropicales elles-même sont encore peu explorées. De ce constat, une étude internationale dirigée par deux scientifiques de Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège) s’est attelée à comparer les flores arborées d’Amérique latine et d’Afrique tropicale. Leurs résultats ont montré que l’Amérique du Sud abrite environ trois fois plus d’espèces d’arbres tropicaux que l’Afrique. Une disparité dont les causes ne sont pas encore élucidées.

Savane d’Afrique de l’Est © Andy Plumptre / ULiège

La première étude à l’échelle continentale

« Le fait que la région tropicale d’Afrique accueille moins d’espèces d’arbres que d’autres zones tropicales, comme l’Amérique du Sud, est connu depuis longtemps par la communauté scientifique. Mais on ignorait à quel point les deux continents différaient à ce niveau, et à quels groupes d’arbres, dans quelles régions, était due cette différence », explique le Dr Pedro Luiz Silva de Miranda, ancien postdoctorant au sein de l’axe de recherche « Gestion des Ressources forestières » à Gembloux Agro-Bio Tech, et premier auteur de l’étude.

Par ailleurs, l’idée que la flore africaine est moins riche que celle d’Amérique latine avait été uniquement révélée au niveau des forêts tropicales humides. Et ce, par l’étude de flores d’Amazonie et d’Afrique de l’Ouest dans les années 1970. Plus récemment, une autre étude a confirmé cette disparité, mais à une échelle très locale, « avec la comparaison de parcelles d’un hectare en Amazonie et en Afrique », précise la Dre Adeline Fayolle, chercheuse au sein de l’axe de recherche Gestion des Ressources forestières.

« Dans notre projet, nous avons étudié cette richesse végétale à l’échelle du continent. Et ce, en analysant non seulement les forêts tropicales humides, mais aussi les forêts tropicales sèches et les savanes, biotopes particulièrement présents en Afrique », poursuit la chercheuse.

Forêts tropicales sèches et humides en Amérique du Sud © Pedro Luiz Silva de Miranda / ULiège

Des dizaines de milliers d’espèces recensées

Ce projet, financé par la bourse postdoctorale IPD-STEMA de l’ULiège, a réuni des scientifiques de l’Université d’Edinbourg et d’Aberdeen (Grande-Bretagne), de l’Université Fédérale de Minas Gerais (Brésil), et de l’Université Libre de Bruxelles. Tous ont participé à la création de deux bases de données regroupant une grande partie des espèces présentes sur les deux continents. Un travail colossal qui a demandé de compiler les listes d’espèces géoréférencées dans l’ensemble de la littérature scientifique.

« La base de données d’Amérique du Sud compte ainsi 10.268 espèces d’arbres différentes (dont 1.197 genres et 158 familles) distribuées sur 4.980 sites. En Afrique tropicale, ce sont 3.048 espèces d’arbres qui ont été recensées (dont 816 genres et 131 familles), sur 722 sites différents », indiquent les deux scientifiques.

A l’aide de ces données, l’équipe a établi que l’Amérique du Sud abrite, en général, trois fois plus d’espèces d’arbres que l’Afrique tropicale. Dans le cas des forêts humides, ce chiffre passe à environ quatre fois plus d’espèces. Quant aux forêts tropicales sèches et aux savanes, le continent sud-américain compte environ deux fois plus d’espèces, alors même que ces types de végétations couvrent une zone beaucoup plus vaste en Afrique tropicale.

Forêts tropicales sèches et humides en Amérique du Sud © Pedro Luiz Silva de Miranda / ULiège

Des flores qui présentent aussi des similitudes

Etonnamment, malgré cette différence de richesse entre les deux régions, l’étude montre aussi que leurs flores arborées sont organisées de la même manière. L’Afrique tropicale et l’Amérique du Sud partagent un total de 99 familles d’arbres tropicaux. Hormis quelques exceptions, les familles les plus riches en espèces sur chaque continent sont en grande partie les mêmes.

« La raison de cette similarité est encore débattue. Pour de nombreux scientifiques, elle s’expliquerait par leur passé géologique commun, puisque les continents africain et sud-américain en formaient autrefois un seul : appelé le Gondwana occidental, il s’est scindé il y a environ 90 millions d’années. Nous avons néanmoins découvert que la plupart des familles présentes aujourd’hui en Afrique tropicale et en Amérique latine sont apparues après cet événement », informe le Dr Silva de Miranda. « Elles ont probablement atteint les terres par une dispersion à longue distance », suppose-t-il.

Marécage en Afrique centrale © Adeline Fayolle / ULiège

Une forêt sud-américaine protégée par les montagnes ?

Selon l’étude, ce déséquilibre en espèces entre Afrique tropicale et Amérique latine serait dû à une poignée de familles abritées sur les deux continents. « De fait, huit à neuf d’entre elles sont exceptionnellement diversifiées dans les forêts humides d’Amérique du Sud, en comparaison à celles d’Afrique tropicale », précise Dr Silva de Miranda.

Cela s’expliquerait par le fait que la flore africaine a été soumise à davantage de pressions environnementales par le passé : « Au cours de l’évolution, les forêts humides africaines ont subi des événements de contraction et d’expansion en raison de variations climatiques. Cela a causé un certain nombre d’extinctions d’espèces. Nous faisons l’hypothèse que ces variations n’ont pas été aussi fortes en Amérique du Sud grâce à la cordillère des Andes, laquelle aurait protégé la végétation humide. »

De futurs travaux permettront de tester cette hypothèse, et de mieux comprendre les processus responsables de la diversité exceptionnelle du continent sud-américain.

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