Détail du Cabinet d'art de Cornelis van der Geest © Irpa

Le « Cabinet d’art de Cornelis van der Geest », un tableau qui se lit comme un roman

8 septembre 2021
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 6 min

Ce n’est pas par ses dimensions que le « Cabinet d’art de Cornelis van der Geest » attire le regard. Ce tableau du 17e siècle qui vient d’être étudié et restauré par l’Institut royal du patrimoine artistique (Irpa), un des Instituts scientifiques fédéraux, ne fait que 1,6 m sur 1,25 m.

L’œuvre de l’artiste baroque Willem Van Haecht (1593-1637) éblouit par la minutie des détails restitués. « Les tableaux représentant des cabinets d’art sont un style typique de l’époque », indique Ben van Beneden, le directeur de la Maison Rubens, à Anvers, où la peinture vient de reprendre sa place. « Ce tableau réalisé en 1628  montre le cabinet de van der Geest, lors de la visite faite treize ans plus tôt par les archiducs Albert et Isabelle. »

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Un concentré d’histoires

Ben van Beneden décode quelques éléments présents dans cette œuvre. « Dans  ce cabinet, les fenêtres et la porte surmontées des armoiries et de la devise du collectionneur offrent une vue sur l’Escaut et le quartier portuaire d’Anvers de l’époque », dit-il. La maison de Van der Geest, détruite au 19e siècle, était, en effet, située près du Steen. »

« Les murs sont couverts de peintures. Toutes ces œuvres sont extrêmement détaillées et donc facilement reconnaissables. La bataille d’Amazones de Rubens, par exemple, en bas à gauche, se trouve aujourd’hui à Munich, tandis qu’une autre de ses œuvres, le Portrait d’un homme en armure, en haut à droite du mur du fond, se trouve dans une collection privée à New York. »

Outre les peintures, il y a bien d’autres choses à découvrir dans ce tableau: des statues en bronze du sculpteur d’origine flamande Giambologna, des miniatures, des dessins et des gravures, mais aussi des moulages de statues antiques, des anciennes pièces de monnaie, un cabinet rempli de porcelaines chinoises, un armillaire, un globe et de nombreux instruments scientifiques.

Une véritable galerie de portraits

« Comme les peintures représentées dans ce tableau, la plupart des personnages qui peuplent la pièce sont également faciles à identifier », reprend Ben van Beneden. Leurs noms peuvent être lus comme un bref « who’s who » de l’élite culturelle de l’Anvers du 17e siècle », estime le directeur de la Maison Rubens.

« Au premier plan, on y présente une Vierge à l’Enfant de Quinten Massysaux aux archiducs Albert et Isabelle, gouverneurs des Pays-Bas méridionaux. Rubens est lui aussi représenté. Il commente le tableau à l’oreille de l’archiduc. Dans le groupe à l’arrière, on reconnaît le bourgmestre Nicolaas Rockox.»

Détail du Cabinet d’art de Cornelis van der Geest © Irpa – Cliquez pour agrandir 

« Vive l’esprit »

« Un certain nombre de collectionneurs sont réunis autour de la table avec des figurines en bronze, tandis qu’à l’extrême droite, les peintres Jan Wildens, Frans Snijders et Hendrick van Balen font également partie du tableau. Ils sont penchés sur un globe terrestre », dit encore Ben van Beneden.

Même la frise du cadre de la porte raconte une histoire. On y lit la devise de l’amateur d’art : « Vive l’esprit ». « Il s’agit clairement d’une allusion à van der Geest », estime le directeur des lieux. « Geest signifiant esprit en néerlandais ».

L’observation de cette œuvre du 17e siècle ne révèle par contre pas le travail minutieux de restauration des spécialistes de l’Irpa, à Bruxelles, où le tableau vient de passer deux ans.

« Nous avons commencé par une étude approfondie de ce tableau et de son support, composé de huit planches de chêne », explique Camille De Clercq, responsable de la restauration à l’Irpa. « Nos travaux comprenaient l’analyse visuelle du tableau par diverses techniques d’imagerie: scans UV, IR et rayons X.  La recherche en laboratoire et l’imagerie chimique ont révélé que le panneau avait été agrandi de deux planches pendant l’exécution de l’œuvre. Celles-ci ont été ajoutées lors de la phase de signature du tableau, laquelle a également été modifiée à ce moment-là. Les résultats des tests montrent que presque tous les petits tableaux représentés dans ce Cabinet d’art ont été peints sur une mise-en-carreau, une grille permettant de mettre une image à l’échelle. »

Cet autoportrait de Rubens accueille le visiteur à la Maison Rubens, à Anvers © Christian Du Brulle – Cliquez pour agrandir

Fissures et craquelures

Malgré diverses tentatives de restauration du tableau aux 19e et 20e siècles pour stabiliser le panneau, des fissures sont apparues, entraînant des craquelures dans la peinture.

« Vers 1850, une structure non flexible en lattes de bois a été appliquée au dos du panneau, ce que l’on appelle la « parqueterie ». Ce système a toutefois entravé le comportement naturel de gonflement et de rétraction des planches, ce qui a provoqué encore plus de fissures », reprend Mme De Clercq.

« En 1970, cette assemblage a été remplacé par des tasseaux. Mais ces blocs de bois ont également donné au panneau endommagé trop peu de soutien et de liberté de mouvement, ce qui a entraîné de nouveaux dommages à la peinture. »

Une restauration durable

« Il fallait donc imaginer une solution durable lors de notre restauration. Une solution qui tienne compte des mouvements du panneau lui-même et qui ne générerait pas de nouveaux dégâts dans le temps. »

Ces deux dernières années, le tableau a été dépouillé de tous les ajouts ultérieurs. La couche de peinture a été soigneusement nettoyée. Les couleurs originales sont à nouveau visibles. Tous les ajouts et restaurations ultérieurs ont été retirés étape par étape : les lattes à l’extérieur, les blocs de bois et une épaisse couche de cire à l’arrière. Après le nettoyage, les joints et les fissures ont été collés et remplis de petits morceaux d’un type de bois tendre, afin qu’aucune pression supplémentaire ne soit exercée sur les planches de chêne.

Le plus grand défi du processus de restauration était sans aucun doute le support structurel du panneau, qui devait permettre un mouvement contrôlé des planches de bois. La restauratrice Aline Genbrugge a conçu un support secondaire flexible avec des lattes effilées, un peu comme la membrure des ailes d’un avion. Ce système a été développé en Angleterre et vise une flexibilité optimale.

Pour le Cabinet d’art, le support a été conçu sur-mesure, en épicéa de Sitka. La grande élasticité de cette essence de bois la rend idéale pour absorber les mouvements des planches sans les bloquer.

Ainsi stabilisé tant au niveau du support qu’au niveau de la couche picturale, le tableau a encore bénéficié d’un système d’encadrement flexible, également en épicéa de Sitka. Une « boîte climatique », intégrée au cadre, protège désormais l’œuvre contre les fluctuations climatiques.

Une mise à l’abri qui n’entrave cependant pas la découverte de ce chef-d’œuvre, désormais bien visible à la Maison Rubens.

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