Entrée en vigueur le 30 juillet 1962, la Politique Agricole Commune (PAC) de l’Union européenne vit des moments difficiles. Après avoir engrangé d’importants succès, elle fait aujourd’hui l’objet de vives critiques, et ceci de la part de nombreux acteurs.
Fondée à l’origine sur deux piliers distincts (le contrôle des prix et le subventionnement), cette politique majeure de l’Union européenne a pour objectif de moderniser et de développer l’agriculture européenne. Dotée d’un budget important – près de 60 milliards d’euros par an, dont 700 millions alloués à la Wallonie et à la Flandre) – la PAC est mise en œuvre par la Direction Générale « AGRI » (Agriculture et développement rural) de la Commission européenne.
Un mal profond
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la PAC a réussi à garantir les prix, stabiliser les marchés et apporter, en stimulant la production, un niveau de vie décent aux agriculteurs européens tout en offrant un approvisionnement alimentaire sain et sûr aux citoyens de la Communauté. Mais, 50 ans plus tard, le mécontentement s’est généralisé, tant dans le monde rural que chez les consommateurs que nous sommes tous. Notamment à cause de problèmes que la PAC a en partie suscités : excès alimentaires, agriculture intensive, et autres.
Les évolutions successives de la PAC n’ont pas permis de renverser la vapeur : disparition continue des petites fermes, vieillissement de la population rurale et maintien de l’agriculture intensive. Ceci malgré des améliorations récentes, comme le soutien aux jeunes agriculteurs et des « primes vertes » pour « l’écologisation » de l’agriculture. Des mesures décrites comme trop timides. Car le mal est profond : la PAC ne suffit pas toujours pour assurer un revenu décent aux agriculteurs et leur permettre d’affronter la transition agroécologique.
Constat d’échec
La nouvelle réforme de la PAC, annoncée pour 2021-2022, sera-t-elle la bonne ? Rien n’est moins sûr. Prévue pour intervenir au plus tôt en 2022, cette PAC nouvelle devrait être beaucoup plus « verte » et soutenir une agriculture durable. Un virage incontournable d’après le Commissaire européen en charge de l’agriculture, Phil Hogan : « Le Conseil européen ne sera en mesure de proposer le maintien du budget fort de la PAC que si les ministres de l’agriculture UE montrent clairement que le défi environnemental et du climat est au cœur de la prochaine politique agricole UE ».
A ce stade-ci des négociations, les négociateurs belges font un constat d’échec. Même si les exigences environnementales minimales que les agriculteurs européens devraient respecter pour recevoir des subventions ont été revues à la hausse, le soutien financier pour des pratiques agricoles plus durables sera contraint par la baisse attendue du budget agricole.
Budget en baisse
Le Vice-Président du Gouvernement wallon, Willy Borsus, annonçait le 19 septembre 2018 au Parlement wallon, une baisse « probable » et « importante » des financements européens qui seront consacrés pour la Région wallonne, qu’il a évaluée « à près de 20% en prix constants », même si le budget de l’Union pour 2021-2027 n’est pas encore finalisé. «Nous sommes donc confrontés à de fortes pressions à la baisse concernant les budgets dédiés à la PAC, de surcroît dans un contexte déjà marqué par des crises pour le secteur agricole », a enchaîné le Vice-Président.
A la Commission européenne, on annonce en effet un budget de la PAC en baisse de 5% en euros courants. Mais les fonctionnaires soulignent des changements positifs, notamment en termes de gouvernance, afin de privilégier la performance et l’atteinte des objectifs fixés, grâce à une mise en œuvre adaptée au niveau national et local. Mais cela ne convainc pas : « On tend à oublier le “C” de “PAC” et à rendre cette politique de moins en moins solidaire », clament les syndicats agricoles.
Autre source de mécontentement : l’objectif annoncé de réduire les nuisances environnementales et de respecter la biodiversité. « Une initiative qui suscite des critiques de toutes parts : des agriculteurs, qui craignent de devoir faire plus avec moins, aux ONG, qui ne font pas confiance aux gouvernements pour afficher l’ambition climatique et environnementale nécessaire », explique-t-on à la Commission. Mais, conclut un fonctionnaire européen, « cette levée de boucliers de chaque côté signifie que nous sommes proches d’une solution équilibrée… »
Lueurs d’espoir
Quoiqu’il en soit, le chemin de cette nouvelle réforme sera ardu et semé d’embûches. Sans le dire ouvertement, la Commission travaille en effet à une PAC plus équitable. « L’une des propositions est le plafonnement des aides communautaires, pour ne pas avantager les gros exploitants », expliquent les fonctionnaires de l’Union, qui savent bien que cette étape a toujours été rejetée par les Etats membres depuis 1992. Une autre piste serait de renforcer les programmes dits « sectoriels » afin de structurer certains secteurs économiques.
Une lueur d’espoir pour les jeunes agriculteurs ? Le Secrétaire général de la Fédération des Jeunes Agriculteurs (FJA), Guillaume Van Binst, souligne d’emblée le contexte difficile : « Depuis 30 ans, nous subissons le virage néolibéral excessif de la PAC plaçant l’agriculture européenne sur un marché mondialisé, obsédé par la compétitivité, avec des prix très volatils. Ajoutez à cela l’accès au foncier qui, dans notre pays, est de plus en plus difficile et cher pour les jeunes. Ceci explique que moins de 5% des agriculteurs wallons ont aujourd’hui moins de 35 ans. Le moral est loin d’être au beau fixe. Néanmoins, nos messages commencent à passer. Notamment le besoin d’une meilleure régulation des marchés et le fait que les produits agricoles ne sont pas des produits comme les autres : ils font, en effet, intervenir des éléments fondamentaux comme les aspects sanitaires, environnementaux, de bien-être animal, de préservation du tissus rural, etc. Et puis, il y a la demande croissante des consommateurs pour une alimentation plus respectueuse de l’environnement et locale, c’est-à-dire celle qui est pratiquée en Région wallonne. »
Tous les regards sont désormais tournés vers Bruxelles où l’on attend la nouvelle Commission européenne et le nouveau Parlement et ce qu’ils décideront dans les prochains mois. Réforme en profondeur ou adaptations mineures ? Les enjeux sont importants pour les citoyens européens.