L'étude de l'ULB, publiée cette semaine dans Nature, a été réalisée grâce au spectrographe HERMES installé au télescope Mercator, de la KULeuven, aux Iles Canaries.
L'étude de l'ULB, publiée cette semaine dans Nature, a été réalisée grâce au spectrographe HERMES installé au télescope Mercator, de la KULeuven, aux Iles Canaries.

Un thermomètre stellaire mis au point à l’ULB

9 janvier 2015
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 6 minutes

Six astrophysiciens de l’Institut d’Astronomie et d’Astrophysique de l’Université Libre de Bruxelles (ULB) et du Laboratoire « Univers et Particules » de l’Université de Montpellier (France), viennent de mesurer la température régnant au cœur de certaines étoiles. Une première, à laquelle ils ne s’attendaient pas au début de leurs travaux !

 

Résultats inattendus

 

« Nous travaillions à l’origine sur la détermination des abondances de certains éléments chimiques dans les étoiles », explique le Dr Sophie Van Eck, astronome de l’Institut d’Astronomie et d’Astrophysique de l’ULB.

 

« Nous savions que nos travaux allaient nous en apprendre davantage sur la vie de ces astres et sur la détermination de leur âge. Mais nous ne nous attendions pas à mettre au point une méthode permettant de mesurer la température régnant en leur sein ».

C’est l’exemple type d’une recherche fondamentale libre qui livre des résultats inattendus.

 

Spectres lumineux et abondances chimiques

 

Pour étudier les étoiles, les astronomes analysent leur lumière. Ils en décomposent finement les différentes couleurs, c’est ce qu’on appelle un spectre. Un arc-en-ciel est un spectre de la lumière du Soleil, mais de très faible résolution. Ces spectres lumineux peuvent leur révéler la présence ou encore l’abondance des différents éléments chimiques situés dans les couches externes de l’astre.

 

Le Soleil, notre étoile, est une étoile de la séquence principale, comme disent les astronomes. Sa principale activité consiste à fusionner des atomes d’hydrogène pour former des atomes d’hélium plus lourds.

 

« Quand une étoile vieillit, elle forme petit à petit d’autres éléments chimiques, de plus en plus lourds », souligne Sophie Van Eck, Chercheur qualifié du Fonds pour la recherche scientifique (F.R.S.-FNRS). « Cela se produit dans les couches intérieures de l’étoile, à divers moments de son existence, et sous certaines conditions de température. Et ces zones sont évidemment beaucoup moins accessibles à nos observations »…

 

Systèmes binaires

 

Pour ausculter l’intérieur de ces chaudrons cosmiques, l’équipe de l’ULB a eu recours à un double stratagème. Elle a étudié des systèmes d’étoiles binaires et a également analysé les abondances de certains éléments lourds, comme le zirconium et le niobium en surface.

 

La constellation d’Orion est bien visible sous nos latitudes en hiver. La température à la surface des étoiles peut aisément être déterminée par leur couleur. Betelgeuse (3.600 degrés) apparait rouge et Bellatrix (21.000 degrés) bleue. En revanche, mesurer la température à l'intérieur des étoiles constitue un véritable défi. La constellation d'Orion contient justement deux étoiles géantes rouges étudiées par les astronomes de l’ULB. L'une, V1261 Orionis, a permis d'estimer la température de la fabrication des éléments plus lourds que le fer au cœur des étoiles (environ 100 millions de degrés). L’autre, o1 Orionis, produit ces éléments lourds depuis 1.3 million d'années.

La constellation d’Orion est bien visible sous nos latitudes en hiver. La température à la surface des étoiles peut aisément être déterminée par leur couleur. Betelgeuse (3.600 degrés) apparait rouge et Bellatrix (21.000 degrés) bleue. En revanche, mesurer la température à l’intérieur des étoiles constitue un véritable défi. Orion contient justement deux étoiles géantes rouges étudiées par les astronomes de l’ULB. L’une, V1261 Orionis, a permis d’estimer la température de la fabrication des éléments plus lourds que le fer au cœur des étoiles (environ 100 millions de degrés). L’autre, o1 Orionis, produit ces éléments lourds depuis 1,3 million d’années.

 

Les astronomes ont pour cela utilisé le spectrographe HERMES, installé sur le télescope Mercator de la KULeuven à La Palma, dans les Iles Canaries. HERMES est un instrument qui a été cofinancé par le Fonds de la Recherche scientifique (F.R.S.-FNRS), l’Observatoire Royal de Belgique, le FWO et la KULeuven.

 

La valse des isotopes

 

“Même si quasiment tous les éléments chimiques plus lourds que l’hélium sont fabriqués par les étoiles, le détail de cette « nucléosynthèse » nous est a priori inaccessible, puisqu’elle se produit au cœur des étoiles, alors que seules les couches externes (les atmosphères) des étoiles sont observables”, insiste Sophie Van Eck.

 

La température à laquelle se produisent les réactions nucléaires dans les basses couches des étoiles a une grande importance. Le rapport entre l’abondance de zirconium et celle d’un de ses isotopes, le zirconium 93, par exemple, est très sensible à la température. Analyser les proportions de zirconium et de zirconium 93 permet de déterminer cette température. Hélas pour les astronomes, cela se produit au cœur de l’étoile…

 

Pourquoi le zirconium 93 est-il si difficile à détecter? Écoutez les explications du Dr Van Eck

 

Heureusement pour les astronomes, le zirconium 93 est instable. Il se désintègre à son tour en un élément plus lourd : le niobium 93, le seul isotope du niobium. Mais ce processus prend 1,5 million d’années.

 

Une pollution stellaire bienvenue pour les chercheurs

 

Trouver des étoiles qui ont fabriqué des éléments lourds il y a plus de 1,5 million d’années n’est pas chose aisée. Ces étoiles continuent à évoluer. Elles peuvent éjecter leur enveloppe et finir leur vie sous forme d’une naine blanche difficilement détectable et sans trace visible de leur nucléosynthèse passée.

 

Les astrophysiciens ont alors eu l’idée de mesurer les abondances de ces éléments lourds dans des étoiles appartenant à un système binaire, dont une des étoiles a été dans le passé une géante rouge « usine à zirconium 93 ». En éjectant son enveloppe gazeuse, cette géante rouge a pollué sa voisine en éléments lourds. Cette seconde étoile garde ainsi la trace, à sa surface, de la nucléosynthèse passée de sa grande sœur.

 

Ecoutez Sophie Van Eck détailler l’attrait de cette « pollution stellaire »

En mesurant le rapport entre le zirconium et le niobium sur cette seconde étoile, les astronomes peuvent estimer le rapport qui existait jadis entre le zirconium et son isotope le 93Zr, et donc reconstruire la température qui régnait jadis au sein de cette étoile.

 

Ces abondances détectées par spectroscopie ont été ensuite comparées aux prédictions des modèles d’évolution des étoiles et aux modèles décrivant leur nucléosynthèse, conclut le Dr Van Eck.

 

Elle précise encore que ces beaux résultats sont le fruit d’une complémentarité entre le travail d’astronomes observateurs et théoriciens.

Qu’est-ce qu’un isotope ?

 

Un élément chimique est caractérisé par son nombre de protons. Le nombre de neutrons peut varier pour un même élément, on dit alors qu’il possède différents isotopes. Par exemple, le carbone a normalement 6 protons et 6 neutrons (on écrit 12C, où l’exposant précédant le symbole de l’élément est la somme du nombre de protons et de neutrons) mais peut parfois avoir 7 (13C), ou même 8 neutrons (14C).

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