Les métavers, quand la réalité ne suffit plus

9 février 2022
par Camille Stassart
Temps de lecture : 4 minutes

À la suite du changement de nom de la société-mère Facebook, devenue « Meta », le concept de « métavers » fait parler de lui. Le terme, apparu dans des ouvrages de science-fiction au cours des années 80, n’est pas neuf. Mais l’idée derrière reste futuriste.

Un métavers se définit (pour le moment) comme un réseau d’univers interconnectés auxquels le citoyen accéderait à l’aide d’un casque de réalité virtuel. Via un avatar en 3D, les utilisateurs pourraient y discuter avec leurs proches, organiser des réunions, suivre des cours, jouer, pratiquer un sport, faire leurs achats… Bref, toutes les activités aujourd’hui possibles sur le web. A la différence que ces expériences ne se feraient plus derrière un écran, mais de manière immersive, dans un seul et même écosystème numérique.

Perçu comme l’avenir de l’Internet par les « GAFAM » (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), le projet se frotte encore à de nombreux défis techniques et énergétiques. Surtout, il soulève des questions sur l’impact que pourrait avoir cette pratique sur l’humain et la société.

Si c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit

Sans parler de révolution, l’avènement d’un ou de plusieurs métavers représenterait une étape importante dans le développement technologique de notre société. Ce qui conduirait, invariablement, à des mutations sociétales. « Il ne faut pas, en effet, sous-estimer les effets anthropologiques et sociétaux des grandes inventions de ce type », soutient Mark Hunyadi, philosophe et professeur d’éthique des nouvelles technologies à l’UCLouvain.

Le concept pose d’ores et déjà plusieurs questions d’un point de vue éthique. Naturellement, il y a la problématique de la collecte des données personnelles et de la protection de la vie privée. « Il est important de garder en tête que la finalité est avant tout commerciale. L’intérêt des entreprises qui développeraient ces univers serait d’inciter les utilisateurs à consommer, et d’observer leurs comportements. Et ce, afin de mieux cibler, par la suite, leurs besoins et désirs en tant que consommateurs. » Un marché qui a été estimé à 800 milliards de dollars.

Une réalité de moins en moins tangible

Un autre problème noté par le philosophe est l’idée même de créer un univers virtuel paramétré par les GAFAM. « Paradoxalement, dans la vidéo présentant son projet de métavers, le patron de Facebook insiste beaucoup sur le fait qu’on “se sentira en présence des autres malgré la distance”. Que ce sera une expérience plus “naturelle et vivante”. Alors que l’ambition est, justement, de concevoir un univers qui nous dispense de l’expérience du monde ! »

« Il s’agit d’aller quelque part, sans aller nulle part. Cela bouleverserait notre rapport au réel. Or, l’intelligence humaine se fonde sur la confrontation à la réalité, aux essais et erreurs », indique le Pr Hunyadi.

Nos sociétés numérisées ont déjà entraîné une évolution dans nos rapports avec les autres et le réel. Aujourd’hui, c’est à travers le numérique qu’on accède au monde : contacter un ami, acheter telle paire de chaussures, identifier tel insecte, consulter une recette, recherche une adresse, etc. « Mais nous sommes toujours en lien avec le monde réel ». La personne avec qui l’on discute existe, comme les chaussures que l’on achète. « Le projet des métavers est de substituer cette réalité par un monde virtuel, idéalisé, où la seule limite est l’imagination. C’est très clair quand on écoute Mark Zuckerberg. »

Ajoutons que l’arrivée d’un tel produit technologique pourrait aussi malmener le lien social : « Le numérique peut représenter un instrument de collaboration mais, force est de constater que les réseaux sociaux d’aujourd’hui ne favorisent pas la médiation, et incitent surtout à affirmer son identité : je suis ce que je suis, point. Et je pense que les métavers aggraveraient cela. Faut-il en avoir peur ? Non. Mais il faut s’en méfier et trouver rapidement des réponses et des outils de contrôle », conclut Mark Hunyadi.

 

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