Ne pas voter pour son parti préféré aux élections: un non-sens? « Cela s’appelle le « vote stratégique ». Il s’agit d’un vote exprimé en faveur d’un parti qui n’est pas nécessairement le parti préféré d’un électeur », indique l’Association belge francophone de science politique (ABSP), qui relaie une étude récente sur cette thématique.
Jusqu’à présent, les chercheurs en science politique pensaient que le « vote stratégique » ou «vote utile» n’existait pas dans les pays utilisant un mode de scrutin proportionnel, comme c’est le cas en Belgique. Et ce sous prétexte que la représentation proportionnelle permettait aux petits partis d’exister et donc d’avoir une chance de gagner.
Les élections de 2014 comme objets d’analyses
Dans son dernier article de recherche, le Dr Damien Bol, jadis attaché à l’Université Catholique de Louvain (UCL) et aujourd’hui professeur au « Department of Political Economy » du King’s College, à Londres, montre que, contrairement à cette croyance populaire, la pratique de vote stratégique en Belgique est bien une réalité. Il en veut pour preuve l’analyse des résultats des scrutins de 2014 en Belgique couplée à l’analyse des données de deux sondages réalisés en marge de ces mêmes élections.
« Quand le parti préféré d’un électeur est trop petit et n’a aucune chance de gagner une élection, certains décident alors de voter pour leur deuxième ou troisième parti préféré, de manière à peser davantage sur le résultat final », estime-t-il.
Ses analyses démontrent que la probabilité de voter pour un parti est fortement influencée par les chances de ce parti d’avoir au moins un siège dans la circonscription du répondant et de la possibilité pour celui-ci de faire partie de la coalition gouvernementale.
N-VA et PS en baisse, Groen et FDF en hausse
Le Dr Bol et ses collègues ont ainsi simulé les gains des différents partis qui se présentaient à ces élections dans le cas où il n’y aurait pas eu de vote stratégique.
On y découvre notamment que la N-VA et le CD&V auraient sans doute connu un succès moindre au profit des partis Groen et PVDA aux législatives.
En Wallonie, pour le scrutin régional, PS et MR auraient faits de moins bons résultats tandis que le PTB et le FDF/Défi auraient connu de meilleurs scores.
Votes stratégiques au Fédéral
« Il existe au moins deux types de votes stratégiques en Belgique : l’un au niveau du parlement, l’autre au niveau du gouvernement », explique le Dr Bol, dans un article vulgarisé publié sur Be Politix.
« Pour l’instant, 13 partis sont représentés au Parlement fédéral belge, six au Parlement wallon et sept au Parlement flamand. Le mode de scrutin proportionnel est en partie responsable du nombre élevé de partis ».
« Toutefois, il existe toujours de nombreux partis qui se présentent aux élections, mais qui n’ont aucun siège. C’est par exemple le cas du PVDA en Flandre qui n’a, pour le moment du moins, aucun parlementaire régional ou fédéral ».
« De plus, certains des partis qui ont une représentation parlementaire n’ont pas d’élu dans toutes les circonscriptions du pays. Par exemple, en 2014, ni Groen, ni le Vlaams Belang n’ont obtenu suffisamment de votes pour avoir un siège au fédéral dans la province du Limbourg. De la même manière, toujours au Fédéral, Ecolo n’a pas d’élu dans la province du Luxembourg et le CDH n’en a pas dans celle du Brabant-Wallon ».
« Ainsi, les supporters de petits partis comme le PVDA, de même que les supporters de partis de taille moyenne, vivant dans des circonscriptions où ces partis sont trop petits pour avoir des élus, ont intérêt à voter stratégiquement pour un parti qui est plus grand et qui a plus de chances d’obtenir au moins un siège. C’est le premier type de vote stratégique au niveau du parlement ».
Coalitions gouvernementales
« Le deuxième type de vote stratégique est dû à l’existence de coalitions gouvernementales. Comme aucun parti n’obtient jamais la majorité des sièges en Belgique, il est nécessaire de former des coalitions entre partis afin de former un gouvernement. Cependant, les divergences d’opinions entre partis font que certaines combinaisons de coalitions sont peu probables, voire impossibles. Par exemple, l’existence d’un cordon sanitaire isolant le Vlaams Belang des autres partis flamands et wallons rend quasiment impossible la formation de toute coalition incluant ce parti. De même, en 2014, il était très peu probable que le PS et la N-VA forment ensemble un gouvernement tant leurs dirigeants respectifs s’étaient exprimés contre cette possibilité durant la campagne ».
« Il est donc manifeste que, contrairement à la croyance populaire, le paysage politique belge serait donc bien différent s’il n’y avait pas de vote stratégique. Une piste intéressante pour des recherches futures serait d’identifier si ces électeurs stratégiques sont systématiquement différents des autres ».
Note : L’article vulgarisé complet de ce travail sur le vote stratégique en Belgique est accessible librement sur le site de l’Association belge francophone de science politique. Cette association regroupe des chercheurs en science politique issus d’universités et de centres de recherche de la fédération Wallonie-Bruxelles. Depuis peu, l’association partage en effet avec le public le plus large possible, via son blog « Be Politix », les résultats des travaux de ses membres.