Les abeilles accumulent les métaux lourds dans leurs tissus

9 mai 2023
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 5 min

Série « Le miel et les abeilles » (1/3)

Quelle est la meilleure matrice apicole pouvant servir en tant que bioindicateur ? La question taraude Grégory Ploegaerts, ingénieur chimiste au sein de l’institut de recherche Labiris (Haute Ecole Lucia de Brouckère). Il est venu présenter ses résultats lors de la Journée des Chercheurs en Haute École, organisée par SynHERA. Evènement qui a mis en lumière pas moins de 71 recherches scientifiques réalisées en hautes écoles.

Des exploratrices de grands domaines

« Les abeilles domestiques, Apis mellifera, sont en contact direct avec les différents compartiments environnementaux proches de la ruche. A savoir l’eau, le sol, l’air. Ces insectes pourraient dès lors transporter les micro-polluants, s’il y en a, vers la ruche. Et ceux-ci pourraient polluer les produits, notamment la cire ou le miel. »

Les abeilles butineuses sont de grandes aventurières. Elles peuvent explorer une zone couvrant jusqu’à 7 km² aux alentours de la ruche. Et donc effectuer des trajets l’en éloignant de plusieurs kilomètres. Et ce, jusqu’à une quinzaine de fois par jour.

Des miels non pollués

Dans une première étape de recherche, le scientifique, en collaboration avec des apiculteurs, a récolté 50 échantillons de miels issus de ruches installées à Bruxelles ou aux alentours de la ville, où le risque de pollution est plus faible.

Résultats ? Aucune trace d’arsenic, de cadmium et de plomb n’a été mesurée dans les échantillons de miels. « Même dans ceux produits en plein centre-ville. » Les concentrations en nickel et en chrome se situent sous la limite de quantification, et sont donc non significatives.

« Nous avons également analysé le palladium, un métal noble qui pourrait provenir de la dégradation des pots catalytiques. Mais celui-ci non plus n’était présent dans aucun échantillon de miel. Restent les oligo-éléments (cuivre, manganèse, zinc) : s’ils ont bien été mesurés dans les échantillons, leurs teneurs étaient dans les mêmes valeurs que ce que l’on retrouve dans la littérature », explique Grégory Ploegaerts.

« Nos analyses constituent une bonne nouvelle pour les consommateurs de miels artisanaux bruxellois : ces derniers ne sont pas contaminés par les polluants analysés. Cela corrobore les résultats d’une étude réalisée par le CARI (Centre apicole de recherche et d’information) en 2015 sur des miels issus de ruches installées sur la dorsale wallonne : même dans les zones industrielles polluées de Charleroi et de Liège, les miels étaient dénués de métaux lourds. »

« D’un autre côté, il est clair que les miels ne peuvent servir de bioindicateurs. Par exemple, aucune corrélation n’a été observée entre sols pollués au cuivre et teneur en cuivre dans les miels », poursuit-il.

Concentration en arsenic, cadmium, plomb, nickel, chrome, cuivre, manganèse, zinc et palladium dans les 50 échantillons de miels collectés à Bruxelles et dans les environs. LOQ = limite de quantification. Réf = valeurs de référence de la littérature scientifique – photographie de la présentation de Grégory Ploegaerts

Les abeilles, des candidates bioindicatrices intéressantes

Dans une seconde étape de recherche, Grégory Ploegaerts s’est penché sur l’accumulation des polluants dans le corps des abeilles, et dans la cire.
Une trentaine de prélèvements d’abeilles butineuses ont été réalisés en 2020 et une dizaine en 2019. Chaque collecte comprenant au minimum 100 individus. « Nous avons analysé les métaux lourds contenus dans leur corps après avoir ôté les boules de pollen collées sur leurs pattes. Un travail de fourmi. »

Quant à la cire, elle a été collectée par grattage dans le cadre des ruches. « Ensuite, elle a été fondue et centrifugée à chaud pour séparer la cire des impuretés. »

« Pour mettre en solution, ces divers échantillons, il a fallu travailler dans des conditions drastiques, à hautes pression et température et avec de l’acide concentré. »

Résultats ? Les métaux lourds (cadmium, nickel et plomb) ont bien été mesurés dans les abeilles. De plus, les concentrations en plomb et nickel peuvent être supérieures dans les abeilles de Bruxelles que dans leurs cousines évoluant en rase campagne dans les alentours de la capitale.

Concentration en cadmium et en plomb dans différentes matrices (larves, abeilles (2019), abeilles (2020), cire) : les abeilles adultes (2019 et 2020) présentent les plus fortes teneurs en métaux lourds- photographie de la présentation de Grégory Ploegaerts

A l’inverse, les teneurs en métaux lourds sont inférieures à la limite de détection dans les larves – ce qui indique une bioaccumulation au cours de la vie de l’insecte – et dans la cire. Il en est de même pour le manganèse et le zinc, fortement accumulés dans les abeilles adultes, lesquelles présentent une charge très largement supérieure par rapport aux larves.

« Si le miel et la cire ne semblent pas être des candidats intéressants pour être bioindicateurs, il en est tout autre pour les abeilles butineuses adultes. Des analyses plus poussées devraient être réalisées, notamment pour affiner l’analyse géographique, et observer si les abeilles de printemps, d’été ou de fin de saison concentrent plus ou moins de polluants », conclut Grégory Ploegaerts.

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