Laisser la nature s’exprimer. C’est ce que promeut la « gestion » en libre évolution des espaces naturels. Il s’agit de minimiser voire de supprimer l’influence humaine afin de permettre aux processus écologiques de se dérouler le plus spontanément possible. Et d’ainsi laisser libre cours à l’évolution et à la diversification génétique du vivant, dans l’espoir qu’il puisse s’adapter aux conditions changeantes du climat. Ce modèle de conservation mise donc sur la résilience naturelle des milieux plutôt que sur le pilotage de la biodiversité et la gestion interventionniste en faveur de quelques espèces-cibles.
Une grande majorité des Wallons interrogés, tous publics confondus, est favorable à une augmentation de la surface forestière régionale laissée en libre évolution. C’est ce qui ressort d’une enquête menée par des chercheurs de Gembloux Agro-Bio Tech et des scientifiques de l’ASBL Forêt et Naturalité.
Le grand public a été sondé : un échantillon représentatif de 1.000 personnes a été interrogé via un questionnaire en ligne. Le public averti, des forestiers et autres parties prenantes de la forêt wallonne, a également été consulté : 350 personnes ont répondu au questionnaire, et 40 ont été entendues lors d’un entretien individuel.
1,6 % du territoire wallon
Plantons le décor. Au 1er janvier 2024, la Wallonie comptait quelque 19.000 hectares de réserves naturelles, dont 14.500 ha gérées par le DNF (Département de la Nature et des Forêts) et 4.500 par des associations environnementales. A cela s’ajoutent près de 9.000 hectares de forêts feuillues publiques identifiés comme « réserve intégrale » au sens du Code forestier. Soit un peu plus de 6 % de la superficie feuillue publique, laquelle représente 47 % des forêts wallonnes (53 % sont donc privées). Quant aux îlots de conservation en Natura 2000 au sein des propriétés privées, ils ne représentent qu’une faible superficie qui influence peu le résultat final.
« En supprimant tout recouvrement, l’ensemble s’entendait sur 26.374 hectares, soit sur 1,6% du territoire wallon. Par comparaison, la Flandre compte actuellement 40.000 hectares de zones strictement protégées, soit près de 3% de son territoire », précisent les scientifiques.

Une extension possible
Quels sont les traits saillants de l’enquête, menée dans le cadre du Plan de relance de la Wallonie ? 76% de répondants du grand public se disent favorables à une augmentation de la surface des forêts wallonnes laissées en libre évolution. Mais un tiers d’entre eux estiment aussi que ce n’est pas réaliste. Concernant le public averti, 9 répondants sur 10 y sont favorables. Près des trois-quarts d’entre eux pensent que la superficie de la forêt wallonne à protéger de la sorte devrait être supérieure à 5 %, et près de la moitié supérieure à 10%.
A titre de comparaison, les aires protégées couvrent environ 15 % des terres émergées et 7 % des zones marines dans le monde. Cela peut paraître beaucoup, mais c’est encore bien trop peu. En effet, la communauté scientifique estime qu’au moins 20 à 30 %, voire 50 %, des terres et des océans devraient être strictement protégés pour répondre aux objectifs de préservation des écosystèmes et de lutte contre le changement climatique.
« Pour les espaces forestiers en libre évolution, les scientifiques prônent une proportion de 20%, composée au minimum de 10% d’espaces strictement protégés et complémentés par des arbres habitats et morts, isolés ou en bouquets, dans la matrice forestière. Les données géographiques de la Wallonie montrent qu’elle dispose d’une marge appréciable d’espaces à consacrer à la libre évolution dans les grands massifs forestiers et sur des sols dits marginaux », expliquent les auteurs de l’enquête.
Une majorité du grand public (65%) et du public averti (60%) se montre en faveur de la création, en Wallonie, d’une grande réserve intégrale d’un seul tenant de 5.000 hectares. Mais environ un tiers estime que ce n’est pas réaliste dans le contexte régional. « La fragmentation du territoire et la densité des routes peuvent constituer une réelle difficulté, bien qu’elles soient moins fortes dans certaines régions forestières », commentent les scientifiques.
Face au constat de la fragilisation des écosystèmes forestiers, due à leur gestion intensive, aux pressions anthropique et aux changements climatiques, certains redoutent une disparition à terme de notre forêt. N’attendons pas qu’il soit trop tard pour prendre ce problème à bras-le-corps.