En moins d’une seconde, le mot «Atlantide» déclenche quelque 4 millions de résultats dans un moteur de recherche. Des restaurants, des centres de relaxation, des films… Mais aussi des milliers de livres, d’articles qui entretiennent la polémique sur l’existence ou la situation géographique de l’île chère à Platon.
Pour éclairer ces énigmes, Monique Mund-Dopchie revisite les textes fondateurs du philosophe grec né vers 427 avant notre ère. La professeure émérite de l’Université Catholique (UCL) présente ses recherches dans «L’Atlantide de Platon» de la collection «L’Académie en poche».
Platon brouille les pistes
«J’analyserai les textes fondateurs en focalisant mon attention sur l’ensemble des renseignements fournis par Platon et sur le contexte culturel, géographique et philosophique dans lequel il a inscrit son récit», précise la membre de la Classe des lettres et des sciences morales et politiques de l’Académie royale de Belgique. «Je démontrerai que son contenu, en raison des choix mêmes opérés par le philosophe, a brouillé les pistes. Et devait dès lors immanquablement engendrer des interprétations multiformes. Et une quête sans fin sur la véridicité de l’Atlantide.»
La vérité, dont se réclame l’inventeur de l’île, est de nature philosophique. Pas historique. «Pour fonder l’historicité du récit platonicien et défendre en conséquence l’assimilation de l’Atlantide à un lieu réel, il faudrait satisfaire 24 critères d’identification proposés à la conférence internationale de Milos, qui a réuni en 2005 des spécialistes de différentes disciplines et de différentes opinions. Jusqu’à présent, on est loin du compte.»
«Nous éprouvons quelque difficulté à concevoir un Platon se livrant à des jeux littéraires et à des facéties à propos d’un sujet sérieux. Or cette attitude ne posait aucun problème aux Anciens qui acceptaient le mélange des genres pour exprimer des vérités philosophiques.»
L’ancrage géographique est manipulé
Les humanistes du XVIe siècle privilégient l’enquête sur l’ancrage géographique de l’Atlantide. Ils se fondent sur des éléments du texte de Platon qui étayent leur choix. En passant les autres sous silence.
«La plupart d’entre eux n’étaient pas mus par un intérêt purement scientifique et culturel. Les uns entendaient par ce type de démarche démontrer à travers la description de Platon que les Anciens n’avaient pas totalement ignoré l’existence de l’Amérique. Ils pouvaient dès lors affirmer l’autorité scientifique de ceux-ci à un moment où les découvertes mettaient en cause leur représentation de la Terre.»
D’autres humanistes utilisent les descriptions pour établir l’ancienneté des familles princières qu’ils servent. Le droit d’un premier occupant, d’un État colonisateur ou des missionnaires mandatés par l’Église.
Au XVIIe siècle, Olof Rudbeck rédige «Atlantica» pour démontrer que l’Atlantide est la Suède et que sa capitale est Uppsala, au nord-ouest de Stockholm. Le but de l’historien-professeur de médecine? Prouver que son pays est le berceau de l’humanité, comme le proclame Jordanes qui a publié l’ «Histoire des Goths», au VIe siècle de notre ère. Consolider le mythe de la primauté gothique auprès des Suédois.
Les idéologues nazis imitent cette démarche pour faire de l’Atlantide la patrie des Aryens. Des archéologues, des géologues continuent à explorer les fonds marins. Jacques Collina-Girard, maître de conférences à l’Université d’Aix-Marseille, pointe une île et son archipel submergé dans le détroit de Gibraltar.
L’art de vivre ensemble fait rêver
La cité idéale où les Atlantes pratiquent l’art de vivre ensemble fait rêver. Des humanistes s’inspirent de la réflexion grecque. Thomas More écrit «Utopia», un réquisitoire contre les injustices sociales et politiques en Angleterre. Le divorce, l’euthanasie, le droit au suicide sont admis sur son île imaginaire. La «New Atlantis» de Francis Bacon est gouvernée par une sorte d’Académie des sciences qui synthétise tous les savoirs.
Aujourd’hui, des romans d’aventure et de science-fiction s’emparent encore, directement ou indirectement, de l’Atlantide. Selon la chercheuse: «Le succès est récurrent et ne semble pas entamé par le rejet du passé qui est prôné aujourd’hui. Il s’explique assurément par la passion pour les mystères. Ceux-ci constituent un défi qui interpelle la raison humaine.»